Le décès de quatre personnes dans l'un des accidents les plus meurtriers causés par l'alcool au volant, à Beauport, en septembre, pourrait faire évoluer la jurisprudence en faisant imposer des peines plus sévères aux conducteurs en état d’ébriété.
En refusant la remise en liberté d’Éric Légaré, le juge Alain Morand a qualifié la preuve d’accablante avec des circonstances qui comportent plusieurs facteurs aggravants.
Dans le respect de la présomption d’innocence, le criminaliste Jean-Marc Fradette estime que ça regarde bien mal pour l’accusé.
« Les peines ne cessent d’augmenter. Le taux d’alcool, le degré de gravité de la conduite avant l’accident et le nombre de décès rapprochent l’accusé de la peine de Yves Martin », explique l’avocat du chauffard de Saguenay qui a écopé d’une peine de 14 ans.
L’ex-ministre de la Justice Marc Bellemare est catégorique. « Dans ce dossier, la Couronne ne devrait jamais demander moins que 20 ans. »
Si les juges durcissent le ton devant les criminels qui circulent en état d’ébriété sur les routes, cette tendance à imposer des peines plus sévères n’est pas toujours évidente.
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Lente évolution
L’accident sur l’autoroute Dufferin-Montmorency, le 2 septembre, a ébranlé la population.
En 2010, une compilation du Journal montrait une douzaine de condamnations pour alcool au volant causant la mort avec des peines variant de 30 mois à 7 ans de pénitencier. À l’époque, la plupart de ces accidents avaient fait une seule victime.
Dans la dernière décennie, certaines décisions des tribunaux sont plus marquantes (voir plus bas).
« Ça continue d’augmenter graduellement même si ce n’est pas nécessairement flagrant », mentionne Marie-Claude Morin, porte-parole québécoise pour MADD, association de mères contre l’alcool au volant.
En 2015, la Cour suprême a rétabli à six ans et demi la peine devant être purgée par Tommy Lacasse. Il a cependant fallu qu’une famille en deuil et un avocat acceptent de mener une longue bataille.
« Je suis allé jusqu’au bout. C’était inacceptable que la cour d’appel réduise la peine. C’est clair que le jugement a un impact sur la jurisprudence », précise Me Marc Bellemare.
Pourtant, la « fourchette » des peines reste encore variable d’un dossier à l’autre.
« Lancer un message »
« Mon travail auprès des victimes, c’est de les préparer à être déçues. On est parti de très loin. Auparavant, on voyait souvent une peine de deux ans moins un jour à purger dans la collectivité. Aujourd’hui, la cause de Tommy Lacasse est souvent citée comme un plancher », ajoute Mme Morin.
Sauf que Tommy Lacasse, Yves Martin et plusieurs autres ont été remis en liberté conditionnelle bien avant la fin de leur peine.
« Il y a des juges qui en ont vraiment ras le bol et qui veulent lancer un message, mais notre société n’a pas les moyens de les suivre après coup pour s’assurer que leurs conditions de libération sont respectées en tout temps », conclut Mme Morin.
« Fixer une peine proportionnée est une tâche délicate. En effet, tant les peines trop clémentes que les peines trop sévères peuvent miner la confiance du public dans l’administration de la justice. »
— Extrait de la Cour suprême dans l’arrêt Lacasse
♦ Selon les plus récentes statistiques, il y a toujours dix arrestations par heure pour alcool au volant au Canada.
- Quelques peines sévères en la matière
FÉVRIER 2009
Réal Quinn
Peine de cinq ans,19e infraction
Aucun décès
SEPTEMBRE 2009

Photo courtoisie
Roger Walsh
- Roger Walsh
- Prison à vie, 18e offense
- Une victime
MARS 2015
Matthew Monique
Peine de huit ans
Une victime
DÉCEMBRE 2015
Tommy Lacasse
Peine de 6 ans et demi
Deux victimes
DÉCEMBRE 2015

Photo d'archives, Agence QMI
Jade Morillon-Morissette
Jade Morillon-Morissette
Peine de 6 ans et demi
Deux victimes
FÉVRIER 2016 (ONTARIO)
Marco Muzzo
Peine de 10 ans
Quatre victimes
JANVIER 2017
Yves Martin
Peine de 14 ans
Trois victimes
FÉVRIER 2017

Photo d'archives, Steven Leblanc
Pedro-Antonio Ovalle-Leon
Pedro-Antonio Ovalle-Leon
Peine de 7 ans
Deux victimes
Des chiffres
-De 2015 à 2019, en moyenne, l’alcool était présent dans 24 % des décès (85).
-Le nombre de victimes d’accidents dans lesquels l’alcool est en cause est en diminution.
-De 2011 à 2015, en moyenne, les accidents dus à l’alcool ont causé 130 décès.
-Le taux de récidive est en baisse, passant de 29,9 % en 2004 à 14,2 % en 2019.