Même si le gouvernement du Québec a suspendu la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé, il pourra l’imposer si jamais il le désire, a tranché le tribunal.
«Il y a lieu, à cette étape, de laisser le décret entrer en application», a affirmé le juge Michel Yergeau en déboutant ce lundi les opposants à la vaccination obligatoire.
Ces derniers, qui travaillent dans le réseau de la santé, avaient demandé que le décret gouvernemental soit suspendu, sous prétexte qu’il causerait des bris de services majeurs.
Or, après avoir écouté les parties, le juge a conclu que ces opposants «n’ont pas réussi à ébranler la présomption qui veut que le décret ait été pris dans l’intérêt public» ni à prouver que l’application du décret piétinerait le droit du public à recevoir des soins de santé adéquats.
«Cela dit, il se peut que le pouvoir exécutif ait fait un mauvais choix de moyens pour protéger la santé publique en cette période d’urgence sanitaire, a toutefois noté le magistrat. Mais il n’appartient pas au tribunal de substituer son opinion à celle du gouvernement.»
Refus sans raison
Dans sa décision de 47 pages, le magistrat a également lancé une pique aux 142 travailleurs de la santé qui avaient fourni une déclaration sous serment où ils affichent leur refus au vaccin.
«À part cinq d’entre eux qui fournissent quelques précisions, aucun des déclarants n’explique ce refus autrement que par [la croyance] qui associe le refus d’être vacciné et le droit à l’inviolabilité de la personne», écrit le juge.
Car le fil conducteur de la pensée de ces gens se limite à «je refuse et je n’ai pas à m’en expliquer».
Entrevue avec Me Nathalia Manole, avocate représentant plus d'une centaine de travailleurs de la santé non-vaccinés
«Ils ne justifient pas leur refus sur des craintes des effets des vaccins, sur l’anxiété, sur des pressions familiales ou encore sur des convictions ou croyances, peut-on lire dans le document de cour. Pourtant, la chose n’est pas si simple au plan juridique».
Le magistrat a noté que lors de l’audience, l’avocate contre la vaccination obligatoire s’est « bornée à véhiculer ce refus » sans l’appuyer juridiquement.
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Décret en suspens
Notons qu’après avoir décrété que la vaccination obligatoire du personnel de la santé entrerait en vigueur le 15 octobre dernier, le gouvernement a repoussé la date butoir d’un mois, avant de reculer encore.
Cela avait poussé les procureurs de l’État à demander au juge de ne pas rendre de décision. Ce dernier a toutefois décidé de trancher «par respect pour le travail abattu par les parties», mais aussi parce que le décret est toujours valide, même s’il n’y a pas de date d’entrée en vigueur pour le moment.
Ce décret a été rendu possible en raison de la Loi sur la santé publique, qui permet d’imposer la vaccination de groupes de personnes en période d’urgence sanitaire.
Plusieurs recours refusés
«Depuis la crise de la COVID, il y a eu plusieurs recours pour contester des décrets, des restrictions aux libertés, et que ce soit au Québec ou au Canada, les décisions où les contestataires l'ont emporté sont extrêmement rares» ajoute Patrick Taillon, professeur en droit constitutionnel à l'Unviversité Laval.
«N'importe quel droit prévu dans la charte canadienne ou québécoise peut être limité autant que nécessaire, ça peut aller très loin, on a vécu des restrictions sans précédent dans les derniers mois dans la mesure où l'état est capable de démontrer qu'il le fait pour une raison valable.»
Selon le juge, les demandeurs n'ont pas réussi à faire la démonstration que l'intérêt public serait mieux servi si le décret gouvernemental était suspendu.
D'ailleurs, une des seules batailles du type qui a été gagnée, c'est celle des itinérants à propos du couvre-feu, qui ont finalement été exemptés de cette mesure.
«Aujourd'hui, contester les mesures sanitaires, sauf dans les situations insolites comme les sans-abris, je pense que l'état va gagner», clarifie Me Julius Gray, avocat spécialisé en droits de la personne.
Pour Me Natalia Maniole, avocate du regroupement des travailleurs, le sujet n'est pas clos. «Le juge a considéré justement, il faut continuer le débat , donc on continue au mois de janvier.»