Des franchisés de restauration rapide, happés de plein fouet par la pénurie de main-d’œuvre, sont tout simplement trop à bout de souffle pour prévoir des options à long terme. « On y va au jour le jour », confie Pierre Sévigny, franchisé bien connu d’un Tim Hortons de Québec.
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L’ancien joueur de hockey professionnel, qui a porté l’uniforme du Canadien dans les années 1990, ne prend aucun détour pour aborder la situation actuelle.
« J’ai pas mal moins de fun depuis quelques années », confie celui qui est propriétaire du Tim Hortons rue Bouvier depuis 18 ans.
« De la pression, j’en ai eu toute ma vie de hockey, je ne me suis pas acheté un emploi pour en avoir autant rendu à 50 ans, toujours à la course ».
Sa femme et son fils ont repris les opérations quotidiennes du restaurant. Il y est malgré tout deux jours par semaine pour leur donner un coup de pouce.
« Je suis allé hier. Je suis rentré à 4 h du matin et je suis ressorti à 16 h. Aujourd’hui, ma femme est rentrée à 4 h et elle ne sera pas revenue avant 18 h. C’est devenu ça, notre vie », rapporte-t-il, insistant sur le fait que « des employés, il n’y en a pas ».
Tout un casse-tête
Il y a quelques années, M. Sévigny se pointait quelques minutes au bureau de chômage le plus proche pour aller recruter un employé manquant.
Aujourd’hui, il se creuse les méninges pour garder son restaurant ouvert, et comme bien d’autres, il a dû fermer sa salle à manger.
« Au début, on se disait qu’on pouvait jeter la clé du resto dans le fleuve parce qu’on était ouvert 24 h/24 h, 365 jours par année. Disons qu’il a fallu changer notre fusil d’épaule », confie-t-il, ajoutant que les solutions ne sont pas évidentes.
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Les processus d’immigration sont longs et ardus, puis les employés francophones sont parfois durs à trouver. Et l’embauche de retraités n’a pas le succès escompté. « Les gens trouvent ça dur, ils trouvent que ça va trop vite et je les comprends », indique l’ex-hockeyeur, précisant avoir ajusté les conditions de travail, sans succès.
« Les salaires sont plus élevés que les gens pensent, ce n’est plus des jobs au salaire minimum. Nos gens sont très bien traités, on fait tout pour en avoir », soupire l’entrepreneur.
Clientèle irritable comme jamais
Dans ce contexte, de plus en plus souvent, les clients, pressés, s’impatientent. Et ce sont les rares employés restants qui écopent. « Ce n’est pas facile pour eux », admet Pierre Sévigny.
D’autres franchisés de Tim Hortons ont confié de façon anonyme au Journal que la relation avec la clientèle était ardue depuis la crise.
« J’ai une employée qui s’est fait lancer un café dernièrement parce que c’était trop long. Il a fallu appeler la police », relate une responsable qui souhaite sensibiliser la clientèle.
Cercle vicieux
Pierre Sévigny et sa famille n’ont pas l’intention d’abandonner, mais admettent que la pression est forte. « Du temps que j’ai commencé, il ne reste plus grand monde, plusieurs ont lâché », affirme à regret M. Sévigny.
« Mais si les petits ferment, ça va mettre encore plus de pression sur ceux qui restent. C’est une roue qui n’arrêtera pas de tourner dans le mauvais sens. »
Des fermetures de plus en plus fréquentes
Si à une certaine époque, la dernière chose que l’on croyait voir fermer était l’un des innombrables Tim Hortons dispersés un peu partout dans la province, la réalité d’aujourd’hui est tout autre.
Nombreux sont les clients qui se sont butés à des portes closes dans les derniers mois, soit en raison d’heures d’ouverture réduites ou de fermetures temporaires liées à la crise de la main-d’œuvre.
C’était notamment le cas à Lévis dans les dernières semaines, où la succursale du boulevard Président-Kennedy affichait le message suivant :
« Nous devons fermer ce restaurant temporairement dû à un manque de main-d’œuvre majeur [...]. »
Une absence et tout s’écroule
À Québec, l’un des restaurants avec le plus fort roulement de la région doit fermer après 14 h.
« Je n’ai pas le choix, mes employés rentrent à 4 h du matin, je ne peux pas les garder plus que ça, c’est inhumain », confie une responsable qui requiert l’anonymat puisque le franchiseur ne l’autorise pas à parler de la situation des restaurants.
Un autre a confié au Journal que la situation est à ce point critique qu’il ne s’agit souvent que d’un seul employé absent pour forcer la fermeture.
« J’ai des jeunes, à l’occasion, que c’est le parent qui m’appelle pour me dire qu’il ne peut pas rentrer parce qu’il est malade. Et moi je dois leur répondre que si leur enfant ne rentre pas, je dois fermer mon restaurant. Ça n’a pas de sens », raconte cette source, qui fait état d’une pression constante.
Contact avec le gouvernement
Appelée à commenter la situation, la chaîne admet que la situation est difficile.
« De nombreux franchisés manquent d’employés, même si plusieurs d’entre eux offrent des primes et d’autres incitatifs et avantages », indique le département des communications de Tim Hortons, assurant collaborer avec le gouvernement provincial pour « souligner les besoins urgents des franchisés ».