Près de 300 snowbirds québécois se préparent à perdre leur demeure en Floride après l’achat de leur parc de maisons mobiles par deux compagnies américaines sans scrupule.
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Deux jours après l’ouverture de la frontière terrestre américaine aux hivernants québécois, Renauld Bourque s’apprête à traverser les douanes de Champlain dans l’État de New York.
«C’est ma 18e année», lance l’entrepreneur en électricité de Saint-Georges-de-Beauce. Cependant, cette année, le cœur n’y est pas.
Écoutez la chronique de Félix Séguin au micro de Richard Martineau sur QUB radio:
Après trois jours de route, M. Bourque arrive enfin au Twin Lakes Travel Park au volant de sa camionnette.
«C’est la dernière année que je rentre ici et je suis très émotif. Je ne pensais jamais être expulsé», se désole-t-il devant les caméras de J.E, qui consacrera une émission à cette affaire ce soir à 21h.
Pas tous des riches
Comme près de 300 de ses compatriotes, M. Bourque a appris par une simple publication Facebook, à la fin du mois d’octobre, que le Twin Lakes était vendu et que les propriétaires de maisons mobiles qui y louent un espace allaient être expulsés.
Le 13 novembre, le septuagénaire s’est heurté à la réalité: un avis d’éviction était collé à la porte de sa maison mobile, dans laquelle il affirme avoir investi 200 000 $. Les résidents doivent quitter les lieux avant la fin du mois de mai 2022.
«Il va y en avoir des pleurs ! Ce sont des gens qui ont mis les économies de toute leur vie. Ce ne sont pas tous du monde riche en Floride. Les maisons ne sont pas toutes des maisons de 200 000 $. Il y en a à 7, 10, 15 000 $», tempête-t-il.
Vente secrète
Le Twin Lakes Travel Park était, jusqu’à tout récemment, la propriété de deux avocats de Miami qui ont décidé de le vendre.
Josée Brassard habite dans une coquette roulotte bordée par un petit lac, qu’elle a achetée en avril dernier.
«C’était mon rêve de devenir snowbird», affirme la résidente de Québec.

Capture d’écran de l’émission J.E.
Josée Brassard et son chien Chico devront quitter le parc de maisons mobiles où ils vivent en Floride avant la fin mai 2022.
Elle a dû emprunter 70 000 $ pour acheter sa roulotte à un autre Québécois. Aujourd’hui, sa maison ne vaut plus rien. Aucun autre parc du genre n’accepte qu’elle la déménage, car elle est trop vieille, comme plusieurs autres au Twin Lakes.
«Comment je vais faire ? Où je m’en vais ? Ce qu’on me dit, c’est : débrouille-toi, la bonne femme!» déplore-t-elle.
Pendant que les propriétaires s’affairaient à vendre le terrain, les ventes de maisons mobiles continuaient sans que les Québécois sachent que leur investissement n’aurait bientôt plus aucune valeur.
«Je pense que quand les snowbirds rapportent de l’argent, ça va bien, mais sinon, ils s’en foutent», dénonce Josée Brassard.
-Félix Séguin
Le Twin Lakes Travel Park
S’étend sur 40 acres et possède 360 terrains majoritairement occupés par des maisons mobiles
90% des résidents sont québécois
Enclavé entre l’aéroport de Fort Lauderdale, l’autoroute 595 et l’autoroute à péage Florida’s Turnpike
Les résidents croient s’être fait avoir
Les résidents du Twin Lakes Travel Park ont l’impression de s’être fait avoir dans la transaction de 64 M$, selon l’association qui les représente.
«Le profit est passé en avant de tout. Ce secret a été gardé pour ne pas que les résidents s’en aillent. [...] Ça aurait été la moindre des choses [de les avertir]», s’indigne Me Christian Schoepp, l’avocat mandaté par l’association des résidents.
Du côté des acheteurs, les deux compagnies associées n’ont pas rappelé notre Bureau d’enquête.
L’entreprise majoritaire, Industrial Outdoor Ventures, a son siège social en Illinois et est enregistrée au Delaware, un paradis fiscal ; 285 000 autres entreprises américaines et étrangères sont enregistrées à la même adresse au Delaware.
L’entreprise minoritaire, Stockbridge Real Estate, se spécialise dans les investissements immobiliers et a son siège social à San Francisco, en Californie.
Les vendeurs, Sherrie Marbin et Jay Cohen, sont deux avocats de Miami qui possédaient le parc de maisons mobiles depuis près de 20 ans. Mme Marbin aurait reçu des offres de multinationales comme Amazon et Fedex, mais a finalement choisi les acheteurs de la Californie et de l’Illinois, selon ce qu’ont rapporté certains médias américains.
Entente de confidentialité
Jointe à son cabinet d’avocats d’Aventura, près de Miami, elle a d’abord refusé de révéler son identité avant d’envoyer son fils, Josh Cohen, rencontrer l’équipe de J.E.
Celui-ci a soutenu que sa mère avait signé une entente de confidentialité l’empêchant d’avertir les snowbirds québécois qu’une transaction se tramait.
Questionné sur les Québécois qui perdent leur investissement, M. Marbin a déclaré que de toute façon les snowbirds «avaient une maison au Canada».
Les acheteurs ne reconnaissent pas la légalité de l’association créée par les résidents pour défendre leurs intérêts.
«Ils ferment le parc pour faire un gros profit et essayer de ne pas payer les Québécois», affirme Me Louis Saint-Laurent II, l’avocat floridien qui a incorporé l’association en 2011.
Pas de compréhension
La loi floridienne stipule que les propriétaires de maisons mobiles qui ne possèdent pas leur terrain dans un parc qui fait l’objet d’une vente ont droit à des compensations jusqu’à 6000 $.
Mais tant les acheteurs que les vendeurs du Twin Lakes Travel Park affirment qu’il ne s’agit pas d’un parc de maisons mobiles, mais plutôt d’un parc de véhicules récréatifs, pour lesquels la loi ne prévoit aucune indemnisation.
Lors de notre passage, il n’y avait pourtant qu’une poignée de ce type de véhicule contre plusieurs dizaines de maisons mobiles.
-Félix Séguin et Nicolas Brasseur