Plats préparés quelques jours d’avance puis réchauffés, erreurs préoccupantes dans la distribution des repas, nourriture renversée pendant le transport, ustensiles et assiettes en plastique : des employés et des proches de résidents de CHSLD du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal dénoncent le « traitement honteux » réservé aux résidents.
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« J’ai honte... Les CHSLD étaient pointés du doigt avec la nourriture déficiente, mais là, c’est pire que pire... Ce n’est pas infect ce qu’on fait, mais ce n’est pas la façon de servir des aînés... », déplore un employé du Centre intégré universitaire de Santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l’Île-de-Montréal, qui travaille à l’hôpital de Rivière-des-Prairies. Par crainte de représailles, il a accepté de témoigner sous couvert d’anonymat.
Depuis le mois de juin 2021, le CIUSSS du Nord-de-l’Île a commencé à centraliser les cuisines de plusieurs de ses centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Pour le moment, trois de ses établissements, soit Paul-Lizotte, Légaré et Paul-Gouin, reçoivent chaque jour trois à quatre livraisons de repas préparés dans les cuisines de l’Hôpital de Rivière-des-Prairies. Un quatrième CHSLD, Auclair, doit être ajouté dans les prochains mois.

Photo courtoisie
À cause du manque de personnel, il arrive souvent que les employés de la veille n’aient pas eu le temps de faire la vaisselle et de s’occuper des poubelles.
Pas de plaisir
Outre les employés, ce sont aussi les résidents et les proches qui dénoncent une forte baisse de la qualité de la nourriture qui est servie plusieurs fois par jour à plusieurs centaines de résidents.
« Manger, c’est supposé être un plaisir, mais là ça ne l’est plus. Je suis souvent obligé de me forcer parce qu’il faut bien que je mange quelque chose, sinon je l’aurais mis à la poubelle... Je ne peux pas rester sans manger », déplore un résident de 64 ans qui vit au CHSLD Paul-Lizotte. Il a aussi demandé l’anonymat.
Dans un autre milieu de vie, le fils d’une résidente a déjà vu sa mère recevoir un « pain doré calciné qui ressemblait et avait la consistance d’une semelle de soulier ».
« Ma mère qualifie souvent la nourriture de “merde”, alors plusieurs fois par semaine je lui prépare des plats à la maison et je lui amène à la résidence », explique le proche-aidant qui a préféré taire son nom.
La situation de la nourriture peu ragoutante des CHSLD suscite le débat depuis des années au Québec. La nourriture décrite par les intervenants interrogés par Le Journal est loin du coq au vin, de la lasagne ou du pavé de saumon que l'ancien ministre de la Santé Gaétan Barrette avait goûté devant les médias en 2016.

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La sauce d’un plat servi à un résident d’un CHSLD du Nord-de-l’Île-de-Montréal est remplie d’eau après que l’assiette eut été mal décongelée quelques heures plus tôt.
Employés
Le CIUSSS du Nord-de-l’Île indique que la centralisation a pour but d’assurer le contrôle de la qualité des repas, tout en répondant aux défis de main d’œuvre.
« Cette centralisation n’est pas faite au détriment de la qualité de la nourriture servie. Au contraire, elle permet d’assurer la constance et la qualité des menus », indique par courriel Émilie Jacob, relationniste média pour l’établissement de santé.
Mais pour les employés rencontrés par Le Journal, la réalité sur le terrain est très différente. Plusieurs ont aussi accepté de témoigner sous couvert d’anonymat.
« Avant, on faisait la nourriture au jour le jour. On faisait à manger et on le servait tout de suite. Maintenant, les plats sont servis deux-trois-quatre jours après avoir été préparés. Même les hot-dogs, les hamburgers, les frites... », soutient un employé qui travaille dans l’alimentation.
« Le café aussi est préparé la veille, refroidi, puis réchauffé le matin. C’est dégueulasse », s’indigne une autre employée qui travaillait auparavant dans les cuisines d’un CHSLD.

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Lors du transport entre les établissements, les plats se renversent souvent dans les chariots de transport. Certains résidents n’ont alors pas tous les plats de leur menu.
C’est que dorénavant, les repas sont préparés d’avance, refroidis rapidement, et finalement réchauffés dans des chariots lors du service.
Il arrive cependant que les plateaux soient mal placés et des repas froids se retrouvent à être chauffés, alors que les repas censés être chauds restent au frais.
Pire encore, il arrive souvent que des erreurs soient commises et que les résidents ne reçoivent pas un repas adapté à leur régime.
« À la place de nourriture qui est supposée être molle, les résidents ont parfois des morceaux. Si on ne redouble pas d’efforts, on a des résidents qui peuvent s’étouffer. Ça augmente vraiment beaucoup le risque d’erreurs, c’est épouvantable », raconte de son côté un préposé aux bénéficiaires.
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Il arrive aussi que des items manquant du repas ne soient pas donnés aux résidents et ne soient pas remplacés.
« Une fois j'ai prévenu qu’il manquait un aliment, on m’a répondu “oh ce n’est pas grave ils font de l’Alzheimer ils vont l'avoir oublié demain” », s’indigne un employé.
Le manque de personnel occasionnel et le bris de certains équipements empêchent aussi de laver correctement la vaisselle et les ustensiles. Il arrive alors très régulièrement que les résidents mangent avec des couverts en plastiques.

Photo courtoisie
Le manque de personnel occasionnel et le bris de certains équipements empêchent aussi que la vaisselle et les ustensiles soient lavés correctement. Il arrive alors très régulièrement que les résidents mangent avec des couverts en plastique.
Transport
Le transport des centaines de repas plusieurs fois par jour amène aussi son lot de complications, indiquent plusieurs employés.
« Si le livreur a le pied lourd sur l’accélérateur, les plats se renversent dans les chariots et certains résidents n’ont alors pas tous les plats de leur menu. Les cafés et les soupes se renversent aussi partout sur les plateaux », affirme un aide-cuisinier d’un des CHSLD.
Pour une travailleuse, il faut absolument que le CIUSSS trouve une solution pour que la situation n’empire pas et que les résidents puissent retrouver du plaisir lors des repas.
« Il faut que les familles soient au courant, nous on fait ce qu’on peut, mais on n’en peut plus et personne ne nous écoute », déplore une employée.
Pénurie de main-d’œuvre et gâchis de bouffe
La pénurie de main-d’œuvre et la centralisation des cuisines au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal créent de nombreux problèmes autour du service alimentaire.
« C’est de pire en pire pour les résidents, pour les patients, pour le personnel. On est à bout, c’est épouvantable. C’est le bordel », explique une employée du Centre intégré universitaire de Santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l’Île-de-Montréal.
Par crainte de représailles, tous les employés avec lesquels Le Journal s’est entretenu ont demandé à taire leur nom.
Malgré une centralisation des cuisines de plusieurs CHSLD de son territoire, le CIUSSS du nord de Montréal fait face à des problèmes de pénurie de main-d’œuvre.
Se faire comprendre
Résultat : de nombreux employés venant directement d’agences de placement viennent travailler, représentant parfois presque la moitié de l’équipe du service alimentaire.
« Ils ne parlent pas un seul mot de français et parlent un peu anglais », affirme une travailleuse.
Comme plusieurs, cette employée explique que cela rend les choses beaucoup plus complexes au travail.
« Il faut répéter tout le temps, dans une autre langue. C’est épuisant à la fin de la journée », ajoute-t-elle.
Erreurs fréquentes
Avec moins de personnel qualifié et plus de tâches, les erreurs sont plus nombreuses. Plusieurs employés du service alimentaire du CIUSSS dénoncent aussi le fréquent gâchis alimentaire.
« L’autre jour, j’ai dû jeter aux poubelles 58 portions de mac and cheese, parce que quelqu’un n’avait pas mis les étiquettes avec les dates », déplore une employée.
Pour un autre travailleur, les quantités de nourriture jetées sont astronomiques, « alors qu’il y a des gens qui meurent de faim ».
Ce qu’ils ont dit
« Ma mère qualifie souvent la nourriture de “merde”, alors plusieurs fois par semaine je lui prépare des plats à la maison et je lui amène à la résidence. »
– Le fils d’une résidente d’un CHSLD
« Le café aussi est préparé la veille, refroidi, puis réchauffé le matin. C’est dégueulasse. »
– Une employée du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal
« Il faut que les familles soient au courant. Nous, on fait ce qu’on peut, mais on n’en peut plus et personne ne nous écoute. »
– Une employée du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal
« Une fois, j’ai prévenu qu’il manquait un aliment. On m’a répondu : “oh, c’est pas grave, ils font de l’Alzheimer, ils vont l’avoir oublié demain”. »
– Un employé du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal