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«À Noël, pensez à moi»: un père dont la famille a été décimée par un chauffard lance un cri du cœur

«À Noël, avant de prendre votre voiture après avoir bu, pensez à moi», insiste un père dont la famille a récemment été décimée par un chauffard ivre à Québec.

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Shellie Fletcher-Lemieux, 44 ans
Emma Lemieux, 10 ans
Jackson Fortin, 14 ans
James Fletcher, 68 ans

Le 2 septembre, Jean-Dominic Lemieux a perdu son épouse, sa fille, son beau-fils et son beau-père dans une tragique collision sur l’autoroute Dufferin-Montmorency, à Beauport.

Le véhicule occupé par Shellie Fletcher-Lemieux, 44 ans, Emma Lemieux, 10 ans, Jackson Fortin, 14 ans, et leur grand-père, James Fletcher, 68 ans, a été heurté de plein fouet, alors qu’il était arrêté à un feu rouge.

Éric Légaré, un récidiviste de l’alcool au volant, fait face à 19 chefs d’accusation. Un juge a récemment refusé qu’il soit libéré dans l’attente de son procès, vu le haut taux d’alcoolémie qu’il avait dans le sang, soit plus de deux fois et demie la limite permise.

Depuis ce drame, le père et mari endeuillé milite contre l’alcool au volant, pour éviter que d’autres vivent ce drame.

Événement surréel

«Il faudrait que les gens pensent à moi avant de prendre leur voiture, dit-il. Parce que c’est surréel ce qui s’est passé dans ma vie. En fin de journée, l’un revenait du football, l’autre de l’école avec sa petite boîte à lunch, et paf !»

Même s’il a «perdu gros» dans cette collision, M. Lemieux a une pensée pour l’accusé, qui devra vivre avec ce drame fatal sur la conscience.

«L’accusé a ruiné la vie de beaucoup de personnes, incluant la mienne. J’y pense souvent [à cet accident], mais moi, je n’ai rien à me reprocher. Lui, il a un sentiment de culpabilité que je n’ai pas. Et il devra penser à ça pendant de longues années», explique le père.

Si sa famille a été détruite, c’est la même chose pour celle de l’accusé, insiste-t-il.

«Je suis bouleversé par ce que doivent vivre les membres de sa famille. C’était de la torture, leur témoignage en cour, ce sont des victimes aussi», lance-t-il.

Trop de place au dérapage                   

Les parents de Légaré ont en effet raconté, lors de sa récente enquête sur remise en liberté, que ce dernier a perdu deux tantes en raison de l’alcool au volant, dont une qui a été fauchée par un chauffard ivre.

«Il y a une responsabilité individuelle, les gens doivent être conscients de ce que ça peut causer», déplore M. Lemieux.

Selon lui, la limite d’alcool permise, 80 mg d’alcool par 100 ml de sang, laisse trop de place au dérapage.

«On demande encore aux gens en état d’ébriété de juger de leur état et de leur capacité à conduire. C’est ça, le problème. N’importe qui qui traîne autour du 0,08 peut ruiner des vies en un instant», dit-il.

Viser la tolérance zéro                   

«Pourquoi jouer à la roulette russe lors des sorties? Vise la tolérance zéro, c’est ça, la solution», poursuit-il.

Il redoute ainsi plusieurs écarts de conduite pendant le temps des Fêtes et implore les gens de planifier leurs déplacements.

«Je sais que c’est compliqué de devoir aller chercher ton char le lendemain, mais c’est moins pire que de passer 10 ans en dedans», ajoute-t-il. 

fin

10 000 Québécois se font arrêter chaque année pour facultés affaiblies                   

Éric Rado, amputé après avoir été laissé pour mort par un chauffard ivre en 2012.

Chantal Poirier / JdeM

Éric Rado, amputé après avoir été laissé pour mort par un chauffard ivre en 2012.

Malgré les campagnes de sensibilisation, les lois plus sévères, les tragédies à répétition et la désapprobation sociale, 10 000 automobilistes québécois se font encore arrêter en état d’ébriété en moyenne chaque année.

Au cours des 10 dernières années, le nombre de chauffards accusés a connu une tendance à la baisse, mais de façon trop peu significative, malgré tous les efforts déployés, déplorent des experts.

«On en a encore un méchant paquet, s’indigne le président d’Opération Nez Rouge, Jean-Marie De Koninck. C’est extrêmement frustrant qu’encore aujourd’hui, des gens prennent [le risque] de conduire avec les facultés affaiblies. Il y a tellement d’options.»

Si le bilan routier s’est amélioré depuis quelques décennies, la proportion des automobilistes qui perdent la vie en raison de la conduite en état d’ébriété dépassait 30 % des victimes de la route en 2019.

L’alcool au volant reste d’ailleurs la deuxième cause de décès sur les routes après la vitesse, rappelle Paul Leduc, chef de la sécurité routière de la Sûreté du Québec.

«Ce n’est pas réglé. Juste sur notre territoire, il y a chaque année 5500 arrestations pour conduite avec les capacités affaiblies. Ça représente 15 personnes par jour, presque un conducteur toutes les deux heures. C’est incroyable», déplore le capitaine Leduc.

«Je suis correct...»                   

Pourquoi encore autant de gens prennent-ils un tel risque ? « Parce qu’on se pense au-dessus de tout ça, que ce sont les autres qui vont se faire prendre », croit le policier à la retraite André Durocher.

«Les gens se disent : “Encore une petite, je suis correct !” Ils se pensent en contrôle et se disent que de toute façon, il ne leur est jamais rien arrivé», déplore le Dr Pierre Maurice, de l’Institut national de la santé publique du Québec.

Et la capacité à conduire est réduite – notamment pour la vision, les réflexes et le jugement – dès la première consommation, souligne le président de la Fondation CAA-Québec, Marco Harrison.

Une victime déçue                   

«Les choses ont peu changé depuis mon accident. J’ai l’impression que rendu là, ça ne changera pas, lance Éric Rado. C’est fâchant, il faut que ça cesse, c’est une habitude dégueulasse de privilégier son plaisir plutôt que la sécurité de plein de gens.» 

Il est cloué à un fauteuil roulant depuis qu’il a été happé par un chauffard ivre en 2012 à Val-David, dans les Laurentides. 

Laissé pour mort dans un fossé enneigé par Éric Clermont, qui avait fui les lieux, il s’est retrouvé à 23 ans à l’hôpital, amputé sous un genou.

Il s’étonne que le fléau ne se soit pas davantage estompé malgré la médiatisation de graves collisions impliquant l’alcool, comme celle dont il a été victime.

fin

Pas assez peur de se faire prendre par la police                   

«Si on a la sensation qu’on a plus de chances de gagner à la loterie que de se faire arrêter, on va prendre le risque», insiste le directeur général d’Éduc’Alcool, Hubert Sacy.

Selon lui, 75 % des conducteurs n’ont pas vu un barrage pour l’alcool au volant dans la dernière année. À l’approche des Fêtes, les policiers ont déjà averti qu’il y aurait une surveillance accrue et plusieurs contrôles routiers. Mais il devrait y avoir davantage de barrages, toute l’année, insiste-t-il.

Pierre Bellemare, expert en reconstitution Courtoisie

«Plus les gens ont peur de se faire prendre, plus ils vont faire attention», glisse Pierre Bellemare, expert en reconstitution.

80 fois avant d’être coincé

«Avant de conduire avec les capacités affaiblies, les gens ne se demandent pas s’ils risquent de tuer quelqu’un, mais bien s’ils vont se faire attraper. C’est ça qui les inquiète», ajoute-t-il.

D’ailleurs, un automobiliste peut rouler plus de 80 fois avec les capacités affaiblies avant de se faire arrêter, évoque Kim Miller, de l’organisme Point Final, en citant une étude américaine.

«Est-ce que l’ensemble des gens qui consomment et conduisent se font prendre ? Non, c’est une minorité. Il y a donc une grande majorité qui, bon an mal an, continue leur trajet sans se faire arrêter», ajoute le policier à la retraite Marco Harrison.

La pointe de l’iceberg                   

Le bilan des infractions en matière de conduite avec les facultés affaiblies ne montre ainsi que la pointe de l’iceberg.

D’ailleurs, au Québec, il est difficile d’obtenir le portrait global de l’alcool au volant. 

La Société de l’assurance automobile du Québec détient des chiffres sur les conducteurs ivres décédés, mais il est difficile de savoir combien d’innocentes personnes sont tuées par année à cause de l’alcool au volant. 

La seule donnée dont nous disposons est qu’entre 2015 et 2019, l’alcool était en cause dans 24 % des décès sur les routes. 

De plus, le Bureau du coroner ne détient aucune donnée concernant les passagers, piétons, cyclistes et autres automobilistes qui ont eu le malheur de croiser un chauffard ivre sur la route.

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