Les jeunes et les femmes ont été particulièrement bouleversés par la pandémie, selon un sondage Léger qui révèle l’ampleur des mauvaises habitudes de vie qu’ont prises les Québécois.
«Il était temps qu’elle finisse, la pandémie», observe Jean-Marc Léger, président de la firme Léger, à la lumière des résultats d’un sondage Léger/Le Journal réalisé au début mars.
Dans les deux dernières années, plus d’un adulte sur trois a vécu du stress, a mal dormi, pris du poids et fait moins d’exercice qu’avant. «C’est beaucoup de monde», s’exclame le sondeur.
Certaines catégories de la population ont été plus perturbées que d’autres, soit les femmes, les jeunes de 18 à 34 ans et les gens habitant la région métropolitaine.
À la base, les jeunes et les femmes tendent à présenter plus de symptômes anxieux ou dépressifs que les autres groupes, explique Isabelle Doré, professeure en kinésiologie et en santé publique de l’Université de Montréal. «C’est donc une vulnérabilité déjà présente et qui est exacerbée.»
Ce sont souvent les femmes qui ont dû jongler avec les répercussions de l’école à la maison et la fermeture des garderies, notent les experts interrogés.
Les femmes sont aussi nombreuses à occuper des emplois précaires dans les domaines qui ont subi le plus d’instabilité, comme la restauration, tandis que d’autres ont été sursollicitées, comme dans les hôpitaux.
Pour les jeunes, les confinements se sont succédé à un moment charnière de leur vie, où la socialisation est importante et la carrière pas encore établie.
«Deux ans de perdus, ça vaut beaucoup plus cher à 20 ans qu’à 50 ans», image Mircea Vultur, spécialiste de l’insertion professionnelle à l’Institut national de la recherche scientifique.
Pour ce qui est des résidents de Montréal, le fait d’avoir été confinés dans des logements plus petits qu’en région a sans doute joué, supposent plusieurs experts.
Comment expliquer que l’isolement vécu par les aînés ne se reflète pas dans les résultats? «Ils en ont vu d’autres», résume Jean-Marc Léger.
Les gens qui ont plus d’expérience de vie ont en effet tendance à être plus résilients et à avoir une meilleure santé mentale que les plus jeunes, explique Isabelle Doré.
De plus, la catégorie des 55 ans et plus inclut une grande part de gens actifs sur le marché du travail. «Et qui sont très heureux d’être à la maison le soir et de faire du pain», illustre Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues.
Notons qu’un fort noyau de Québécois (entre 40% et 60%) semble avoir été peu affecté dans ses habitudes et son bien-être. Mais dans la plupart des cas, le nombre de personnes dont l’état ou le quotidien a empiré est plus grand que ceux dont la situation s’est améliorée.
«Au global, le Québec est plus gros qu’avant», tout en étant moins en forme, résume Jean-Marc Léger.
La fermeture des gyms y est sans doute pour quelque chose.
De plus, les télétravailleurs n’avaient plus besoin de se déplacer alors que bon nombre de Montréalais utilisaient ce déplacement pour être actifs, note Corinne Voyer, directrice de la Coalition Poids.
On peut aussi voir un lien entre le stress vécu et les habitudes de vie, notent les experts.
Par exemple, les personnes anxieuses tendent à avoir plus de difficulté à s’endormir ou à avoir un sommeil réparateur, explique Georgia Vrakas du département de psychoéducation de l’UQTR.
Aussi, il est plus difficile de se motiver à bouger quand on est anxieux ou déprimé. À l’inverse, le fait de bouger a des bienfaits sur la santé mentale.
«C’est un peu l'oeuf ou la poule», résume Christine Grou de l’Ordre des psychologues.
Le temps passé devant un écran a augmenté pour presque la moitié des adultes, mais ce chiffre est encore plus élevé chez les jeunes.
Quelque 58% des gens de 18 à 34 ans ont en effet passé plus de temps sur les réseaux sociaux.
«Souvent, les réseaux sociaux peuvent être un véhicule de stress accru», note Isabelle Doré, professeure en kinésiologie et en santé publique de l’Université de Montréal.
Elle croit d’ailleurs que l’importance de délaisser quelque peu les écrans pour se remettre à l’exercice sera un des enjeux de santé publique de l’après-pandémie.
On aurait pu croire que les couples ont profité des confinements pour passer plus de temps sous la couette. Ce n’est pas le cas, particulièrement chez les 35 à 54 ans.
«Je ne suis pas sexologue», avertit Chiara Piazzesi, mais on peut émettre l’hypothèse que le stress, l’anxiété et la reconfiguration constante du quotidien ont joué un rôle dans cette baisse de l’activité sexuelle.
«Le renfermement dans l’espace domestique peut aussi avoir causé des frictions», ajoute la professeure de sociologie de l’intimité amoureuse à l’UQAM.
«Pour qu’un couple soit vivant, c’est important qu’il y ait un ailleurs», abonde Geneviève Beaulieu-Pelletier, professeure de psychologie. Autrement dit, il faut parfois se distancer pour se dire : «j’ai hâte de te voir.»
Pour ce qui est des célibataires, les couvre-feux et fermetures des bars et restaurants ont rendu ardue la possibilité des rencontres, notent les expertes.
FORT APPUI POUR LA LEVÉE DES MESURES SANITAIRES
Les Québécois en ont assez des mesures sanitaires puisque plus de la majorité d’entre eux appuie leur levée, incluant le port du masque obligatoire.
Chez les moins de 55 ans, c’est même plus de 65% qui sont en faveur d’un retour complet à la normale.
Catherine Maertens, analyste de recherche chez Léger, s’est elle-même reconnue dans les données quand elle a rédigé le rapport du sondage.
«J’ai six spectacles de prévus dans les trois prochaines semaines», avoue en riant la jeune femme de 25 ans.
Évolution rapide
Or, il n’y a pas si longtemps, les Québécois étaient beaucoup plus frileux. En février, ils étaient 36% à se dire pour la levée des restrictions et en janvier, seulement 20%, rappelle Jean-Marc Léger.
Cela s’explique notamment par la fulgurance de la vague Omicron, explique Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. «Quand ça monte vite en flèche, c’est très court.»
«Une bonne partie des Québécois ont eu la Covid-19. Ils font le calcul et estiment qu’ils vont être protégés» pour une certaine période, analyse-t-il.
«ll y a eu un engouement pour les manifestations de camionneurs», ajoute Geneviève Beaulieu-Pelletier, professeure de psychologie à l’UQAM. Parmi ceux qui ont changé leur fusil d’épaule, «il y a des gens qui suivaient les consignes depuis le début mais qui sont juste tannés», suggère-t-elle.
Méthodologie : Sondage web mené du 4 au 6 mars 2022 auprès de 1013 Québécois. Les résultats ont été pondérés afin de garantir un échantillon représentatif de la population. Un échantillon probabiliste de 1013 répondants aurait une marge d’erreur de +/- 3,1 %, et ce, 19 fois sur 20.
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