Maux de tête, pertes de mémoire, fatigue, irritabilité, troubles du sommeil, sensibilité à la lumière... La liste des séquelles liées aux commotions cérébrales est longue et touche à divers degrés plusieurs de ces anciens durs à cuire.
Le Journal est allé à la rencontre de plusieurs des plus grands bagarreurs québécois des 20dernières années qui ont fait la gloire des ligues de hockey semi-professionnel. Aujourd'hui, alors qu'ils sont pour la plupart à la retraite, ils vivent une vie rangée loin des projecteurs.
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Toutes ces années marquées par de furieux combats - certains en ont cumulé plus de 500 - ont toutefois laissé des traces. Si plusieurs réussissent à vivre une vie normale, pour d'autres, l'histoire est moins rose.
Billy Frainetti a connu des problèmes de dépression et de consommation qu'il associe aux commotions subies durant ses nombreux combats.
Billy Frainetti, dont le passage dans la Ligue de hockey semi-professionnelle du Québec (LHSPQ) a été de courte durée au début des années 2000, associe «grandement » ses problèmes de dépression et de consommation aux commotions subies durant les bagarres. Et encore aujourd'hui, il qualifie sa tête de «messed up», alors que les lumières intenses lui font mal et qu'il souffre toujours de maux de tête.
À 46 ans, l'homme estime avoir livré plus de 300 combats, incluant ceux dans les rangs juniors. Sans compter les combats de boxe dans un ring. «Je pense avoir eu plus de 15 commotions. J'espère ne pas avoir l'ETC [l'encéphalopathie traumatique chronique], on ne sait jamais. On ne le voit qu'après la mort», explique celui qui entend ultimement «donner [son] cerveau à la science».
L'ETC est une maladie neurodégénérative due à plusieurs traumatismes crâniens et qui est surtout diagnostiquée chez les boxeurs et les joueurs de football. Mais des hockeyeurs s'invitent de plus en plus sur la triste liste.
Les années de Frainetti dans la LHSPQ ont été marquées par de graves problèmes. «Je sortais, je buvais, je devenais violent, je me battais dans les bars, je prenais de la drogue. Ça n'arrêtait pas. Je n'étais pas comme ça avant.»
Mémoire affectée
Véritable phénomène du hockey semi-pro, Mike Brault est un nom qui a marqué les esprits dans l'univers du hockey senior. Malgré ses quelque 800 combats, «Iron Mike» reste convaincu qu'il a peu de séquelles. Il aurait seulement «des trous de mémoire»
Ma mémoire «est affectée beaucoup. Le monde me raconte des histoires dont je ne me souviens plus», souffle le colosse de 53 ans, qui a accordé une longue entrevue à lire aussi demain.
Il n'est pas seul à ne pas trop s'en faire malgré des symptômes peu banals. De nombreux autres joueurs interviewés par Le Journal ont aussi évoqué des pertes de mémoire fréquentes, sans s'inquiéter outre mesure.
D'ailleurs, la plupart des bagarreurs ne savent pas du tout combien de commotions ils ont pu faire. Certains se limitent à dire «plusieurs». D'autres pensent n'en avoir jamais fait, mais ils avouent avoir déjà vomi après des combats, en se disant que ce n'était pas si grave.
Vieillir en santé?
Avec près de 450 combats à son palmarès, Martin Larivière n'a jamais reculé devant un adversaire, même s'il n'était pas le plus costaud. Il a «adoré» sa longue carrière comme bagarreur et n'y changerait rien. «Je l'aurais fait bénévolement», dit-il avec assurance.
Déclaré inapte au travail en 2018 parce qu'il avait des symptômes de commotion, l'homme de 37 ans a repris le boulot depuis.
«Des maux de tête et de la fatigue, ça n'avait aucun bon sens. J'ai été un bon six mois en arrêt de travail parce que je n'étais pas capable de me mettre la face devant un écran d'ordi.» Aujourd'hui, la santé est meilleure, souligne Larivière.
Ses choix, il les assume et ne se dépeint pas comme une victime. Il recommencerait volontiers même s'il «comprend que ça va être là une partie de [sa] vie».
«Si j'ai des séquelles quand j'aurai 74 ans, qu'est-ce que tu veux que je te dise? Ça arrivera. Je ne regrette pas ce que j'ai fait.»
«J'essaie de ne pas y penser»
De son côté, Sébastien Laferrière, qui a livré plus de 450 combats, en plus de protéger Sidney Crosby avec l'Océanic de Rimouski dans les rangs juniors, espère pouvoir vieillir en santé. Car il a subi des commotions. Combien? «Sûrement plusieurs», dit-il.
Pour Steven Oligny, sa carrière de bagarreur a pris fin quand la pandémie a contraint les ligues à annuler leur saison au printemps 2020. Cette retraite forcée est considérée comme «un signe» par le père de famille de 32 ans, lequel croit avoir engagé le combat 175 fois. «La pandémie m'a peut-être sauvé la vie, m'a sûrement aidé», avance celui qui craignait le combat de trop, peu avant sa retraite. Ses combats ont laissé des traces et il avait ressenti des symptômes de commotion par le passé.
«Ça aurait pu bien finir, mais, d'un autre côté, peut-être que ça aurait pu mal virer et que c'était mieux que ça arrête pour moi.»
La ministre Charest n’en peut plus
Depuis son entrée en poste, la ministre responsable des Sports, Isabelle Charest, mène une croisade pour l'abolition des bagarres au hockey.
En 2020, elle a dû menacer les 12 formations québécoises de la LHJMQ de retirer l'aide financière pour éponger les pertes engendrées par la pandémie.
La LHJMQ a alors décidé d'ajouter une pénalité d'inconduite de 10 min à celle de 5 min qui est déjà imposée lorsqu'un joueur jette les gants.
Une suspension automatique d'un match est imposée dès la troisième bagarre d'un joueur dans la même saison. Pour la ministre, ce n'est pas assez.
Selon ce que notre Bureau d'enquête a appris, le commissaire de la LHJMQ, Gilles Courteau, a reçu cette semaine une lettre de la ministre Charest, qui lui demande d'aller encore plus loin.
On peut notamment y lire: «votre règlement de sécurité devrait comporter des clauses plus strictes afin que, lors d'une bagarre sur une glace de hockey, les belligérants soient minimalement expulsés de la rencontre et qu'ils obtiennent un match supplémentaire de suspension. Il faudrait aussi qu'il y ait davantage de conséquences lorsqu'il s'agit de l'instigateur, de l'agresseur ou de batailles planifiées à l'avance.»