Le gouvernement Legault n’exigera pas de réduire les gaz à effets de serre lors de la construction de ses plus gros projets routiers, a découvert notre Bureau d’enquête malgré les efforts du MTQ pour camoufler l’information.
Utilisation de véhicules hybrides et électriques sur le chantier, réutilisation des matières résiduelles et réduction du déboisement : plusieurs mesures ont été prévues afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) lors de la réfection du tunnel Louis-H.-La Fontaine.
Or, au nom de la relance économique, ces efforts ne seront plus requis pour les autres chantiers «carboneutres» du ministère des Transports du Québec (MTQ). Cela concerne au moins six chantiers majeurs et possiblement une quinzaine d’autres.
En 2019, le MTQ s’est doté d’une directive pour rendre ses grands chantiers routiers carboneutres. Cela signifie que la construction se fait en tentant de réduire les GES et en compensant ce qui est impossible d’éliminer par la plantation d’arbres ou l’achat de crédits carbone.
Mais le gouvernement Legault veut accélérer les chantiers et estime que cette approche l’aurait ralenti. Le ministère se contentera donc de compenser les émissions de GES à la fin de la construction.
«La carboneutralité est une opération comptable et ce n’est crédible que si on a fait de la réduction avant, prévient Claude Villeneuve, directeur de Carbone Boréal, un programme de compensation et de recherche de l’Université du Québec à Chicoutimi. Je ne peux pas faire tourner ma voiture arrêtée toute la journée et payer les crédits carbone après. Ça n’a pas d’allure.»
«Tu peux être carboneutre [sans réduire les GES], mais ça va coûter plus cher parce que t’auras émis plus pendant le projet et tu devras compenser plus», ajoute-t-il.
Infos dissimulées
Nous avons appris la nouvelle orientation du ministère grâce à une demande d’accès à l’information, parmi plusieurs éléments que le MTQ tentait de dissimuler.
«L’application intégrale des étapes prévues pour la carboneutralité (soit l’étape de l’élaboration d’un scénario de réduction) ne pouvait être complétée sans retarder la mise en œuvre du projet», indique une ébauche de réponse du MTQ, qui a été bloquée puis modifiée.
Écoutez l'entrevue de Philippe-Vincent Foisy avec Dominique Cambron-Goulet :
Dans un courriel interne, la directrice des communications, Julie Berthold, insiste pour que les réponses ne donnent pas l’impression que l’environnement est mis de côté.
«Il faut à tout prix éviter que le message qui pourrait être perçu soit le fait que vu qu’on accélère les projets, on a pas le temps de bien faire les démarches de carboneutralité», explique-t-elle.
«Il me semble qu’on doit axer notre réponse beaucoup plus sur le fait que nous avons eu tellement plus de projets majeurs à orchestrer [...], que cela a été impossible (manque de main-d’œuvre) de suivre les démarches de carboneutralité.»
Une «supercherie»
Compenser les GES ne rend pas forcément un projet écologique. Dans le cas de l’échangeur Turcot, les arbres plantés mettront 100 ans avant de capter l’équivalent de la pollution du chantier et des crédits carbone qui ont été achetés d’un projet hydroélectrique indien controversé.
«La compensation d’émission est une supercherie, cela ne fonctionne pas, et la création de projets de compensations ne fera que retarder l’adoption de mesures concrètes pour réduire les émissions», estime Patrick Bonin, de Greenpeace.
Rappelons que le gouvernement avait aussi réduit à la baisse sa cible du nombre de projets carboneutres.
QU’EST-CE QUE LA CARBONEUTRALITÉ?
Pour qu’un projet soit carboneutre, il faut d’abord tenter de réduire ou d’éliminer les émissions de GES. Si c’est impossible, les émissions peuvent être compensées par l’achat de crédits sur le marché du carbone. Ces crédits sont détenus par un projet qui aide à dépolluer, comme la plantation d’arbres ou la production d’énergie verte.
Le MTQ s’est engagé à rendre ses chantiers carboneutres. Seules les émissions de la machinerie servant aux travaux et au transport des matériaux seront compensées, et non celles des véhicules qui circuleront sur les nouvelles installations.
«La compensation d’émissions et les prétentions de carboneutralité n’empêchent pas le carbone d’être émis dans l’atmosphère à court terme et de réchauffer la planète. Elles ne font que soustraire la pollution des livres comptables des pollueurs et des gouvernements irresponsables», affirme Patrick Bonin de Greenpeace.
En 2009, le MTQ estimait que le chantier de Turcot générerait 17 000 tonnes métriques de GES. Il y en a eu 7 fois plus, soit 121 000 tonnes.
Le ministère a tenté de cacher des informations
Les échanges internes du MTQ, obtenus grâce à une demande d’accès à l’information, montrent à quel point le ministère a tenté de camoufler des informations à notre Bureau d’enquête.

Photo courtoisie, MTQ
La directrice des communications publiques du MTQ reconnaît que son ministère est incapable de suivre les démarches de carboneutralité.

Photo courtoisie, MTQ
Le bureau du sous-ministre demande des modifications importantes à la réponse fournie à notre Bureau d’enquête. Les traces de l’existence de la Directive sur la carboneutralité disparaissent.
Dès nos premières questions posées au ministère au sujet de la carboneutralité, le dossier est qualifié de «sensible».
«Merci à tous de bien vouloir y jeter un dernier coup d’œil, puisqu’il s’agit d’un dossier sensible, et traité par plus d’un secteur. Le Cabinet [du ministre François Bonnardel] sera avisé avant de contacter le journaliste, bien entendu», écrit le porte-parole du MTQ, Gilles Payer, le 22 mars.
«Assurons-nous que le cabinet sait que Québecor fouille ça», écrit alors la sous-ministre adjointe, Isabelle Mignault, à son adjointe et conseillère principale, Marianne Pépin, le même jour.
Références disparues
Après une intervention du bureau du sous-ministre, toute référence à l’abandon de la réduction des GES sur les chantiers «carboneutres» a disparu des réponses officielles.
De plus, le MTQ fait des pieds et des mains pour garder secrète sa Directive sur la carboneutralité, qui établit les grandes orientations de la politique et coordonne les actions de réduction et de compensation de GES.
- Le 15 mars, on nous a d’abord dit que la directive n’était pas de l’information de nature publique, car le document n’était pas dans «sa version finale».
- Puis, alors que nous avons questionné le ministère, on s’apprêtait à nous dire que «la directive a été adoptée en 2019. La directive est en vigueur et son application est progressive.»
- Ensuite, le bureau du sous-ministre a exigé une «correction importante». Le fait que la directive existe a alors été effacé dans la réponse officielle qui nous est envoyée.
Devant notre insistance, le MTQ a continué à maintenir un flou sur l’existence de cette directive, ce qui a semé le doute chez certains fonctionnaires.
«Pour le texte du courriel, la directive existe déjà... Alors je sais pas trop», écrit notamment dans un courriel interne la directrice des communications, Julie Berthold.