Une semaine après l’inauguration du SRB Pie-IX, un énorme chantier situé à l’intersection de la rue Jean-Talon, à Montréal, cause toujours des maux de tête aux nombreux commerçants du secteur, un problème qui ne se règlera pas avant une autre année.
«Ça fait plus de 10 ans que je suis ici. Il me reste jusqu’à septembre pour que mon bail se termine. Après ça, je vais quitter. J’avais quatre employés, mais maintenant, je dois travailler sept jours sur sept», s’est désolé Mohamed Sbeity, propriétaire de Sport Station.
Situé au coin de la rue Jean-Talon et de la 23e avenue, il est frappé de plein fouet par les travaux qui se déroulent à quelques mètres de l’entrée de sa boutique. Les deux commerces qui étaient ses voisins ont pour leur part déjà mis la clé sous la porte.
«Les gens qui viennent en voiture ne peuvent pas arrêter. Les gens ne peuvent plus venir par autobus non plus. Même moi, je dois me stationner à 10 minutes de marche et je suis le propriétaire», s’exaspère-t-il.

Félix Lacerte-Gauthier
Malgré l’inauguration du service rapide par bus (SRB) Pie-IX après des années de travaux, l’artère demeure fermée au niveau de Jean-Talon en raison d’un autre chantier. Celui-ci a pour objectif de construire un tunnel piétonnier qui reliera le SRB à la future station de métro du prolongement de la ligne bleue.
Dès le boulevard Saint-Michel, un panneau indique aux automobilistes que la rue Jean-Talon est fermée plus loin, et que seule la circulation locale est admise. De l’autre côté du chantier, un avertissement semblable est apposé à l’intersection du boulevard Provencher.
La Brasserie 4040 est pour sa part située à l’intersection de Pie-IX et Jean-Talon, en plein cœur des travaux. Un petit passage piétonnier longeant la clôture du chantier permet d’accéder tant bien que mal à son entrée.
«Avec les travaux et la COVID, on doit être à 50 % de clients de moins», calcule Lison, qui y travaille depuis 29 ans.
Pour Toufik Lallouche, président de la Société de développement commercial (SDC) du Petit Maghreb, la situation est «alarmante».
«Il y a une baisse de l’achalandage, une baisse des revenus et on voit des commerces qui ont de la misère à payer leur loyer», a-t-il expliqué.
Selon ce qu’il constate, seule la clientèle locale fréquente encore les commerces de l’artère. Malgré tout, il conserve un certain optimisme. La SDC serait en discussion, selon ses dires, avec la Ville et la STM sur les modalités d’un programme d’aide.
Il croit aussi que la situation va s’améliorer à terme.
«L’espoir qu’on leur donne, actuellement, c’est qu’on les motive, qu’après l’ouverture du SRB et de la ligne bleue, que ça va vraiment donner plus de possibilités d’augmenter votre chiffre d’affaires. Il y aura beaucoup de trafics, beaucoup de clients de l’extérieur qui vont visiter l’artère. C’est la promesse qu’on leur donne.
Quelques-uns tirent malgré tout tant bien que mal leur épingle du jeu. C’est le cas de la boutique 1000000 Comix.
«C’est un peu compliqué pour venir, mais pas trop. Le monde veut leurs bédés, alors ils vont trouver une manière. On a une clientèle niche. Ils sont fidèles», a révélé, dans un éclat de rire, le propriétaire du commerce, Emilio Vassallo.
Un centre commercial désert
Situé au cœur du chantier, le centre commercial Le Boulevard semble également grandement affecté par la situation. À l’intérieur, seuls quelques rares commerces sont encore installés sur les lieux, donnant à l’endroit des airs de village fantôme.
Par un concours de circonstances, la STM est devenue, malgré elle, propriétaire du centre commercial en 2021. Elle souhaitait exproprier une partie du terrain pour le prolongement de la ligne bleue. La société Crofton Moore a contesté la décision, réclamant plutôt une expropriation complète du terrain, que le tribunal administratif du Québec (TAQ) lui a octroyé.
Propriétaire de la bijouterie Olivine, Stéphanie Vézina aimerait voir plus de clients, de locaux loués ou «de l’action».
«Ça fait longtemps que je suis ici, j’ai une bonne clientèle, mais il n’y avait pas beaucoup de choix ailleurs non plus. J’ai cherché pour un autre local, mais il n’y en a pas», a-t-elle constaté.
Gérante d’Urban Depot, Sally se désole aussi de la chute de l’achalandage et du grand nombre de magasins fermés. Malgré tout, elle est optimiste que la situation va aller en s’améliorer une fois les travaux terminés. «On supporte ça pour le meilleur qui s’en vient», espère-t-elle.
Nécessaire selon la Ville
«Nous sommes conscients que cohabiter avec des travaux majeurs devant chez soi ou devant son commerce n'est pas une situation évidente pour personne. On doit toutefois continuer de développer et d’entretenir notre ville et nos infrastructures», a indiqué dans une déclaration écrite Luc Rabouin, responsables du développement économique au sein du comité exécutif de la Ville.
Il a rappelé que la Ville a mis sur pied un programme d’aide pour les commerçants situés dans des secteurs affectés par des travaux «majeurs».
«Nous avons d'ailleurs révisé ses critères cette année pour permettre à encore plus de commerçants affectés d'obtenir de l'aide financière en rehaussant les subventions maximales», a-t-il ajouté.