Des milliards de dollars appartenant à de riches familles françaises ont été cachés au Québec à l’abri du fisc français dans le cadre d’un stratagème de blanchiment d’argent de grande ampleur, estime un juge de la Cour Supérieure.
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Le juge Bernard Synnott a renvoyé dos à dos deux groupes qui se disputaient la gestion de trusts (ou fiducies en français) reliés à la firme de gestion montréalaise Blue Bridge, dans un jugement particulièrement cinglant rendu jeudi.
«Le Canada est-il devenu un paradis fiscal? C'est du moins ce qu'en pensent les acteurs de la présente affaire, incluant les parties», souligne le juge Synnott.
Notre Bureau d’enquête a été le premier média dans le monde à lever le voile sur les mystérieuses activités de la firme de gestion de patrimoine Blue Bridge au centre-ville de Montréal, dans un reportage de deux pages publiés à la fin 2019.

Capture d'écran tirée du site de Blue Bridge
Capture d'écran du site internet de Blue Bridge, une firme montréalaise gérant des fiducies, ou trusts en anglais, dont de riches Français sont bénéficiaires.
Notre Bureau d’enquête révélait alors que des milliards de dollars détenus dans des fiducies aux Bermudes et reliés à des fortunes françaises avaient pris le chemin du Québec après la conclusion d’un accord d'échange d’informations entre la France et les Bermudes.
«Selon les “vœux” de certains bénéficiaires, Blue Bridge blanchit des millions de dollars appartenant à certains trusts, par le truchement de dons versés à des fondations au nom Blue Bridge. Cela permet de cacher l'identité du véritable donateur (le trust), et ultimement de dissimuler l'identité des personnes derrière le don (les bénéficiaires)», mentionne le juge Synnott dans sa décision.
Le juge n’est pas tendre ni envers le patron de Blue Bridge, Alain Roch, financier à la «carrière bancaire chancelante» jusqu’au début des années 2000, ni envers les autres parties qui le poursuivaient pour le contrôle de trusts.
Alain Roch, notamment, n’a aucune crédibilité, selon le juge.

Capture d'écran tirée du site de Blue Bridge
Alain E. Roch, un ancien banquier suisse installé au Québec qui dirige la société de patrimoine et de trusts Blue Bridge. De grandes fortunes françaises auraient placé leur argent chez Blue Bridge en le faisant venir des Bermudes, un paradis fiscal.
Parmi ces autres parties, Me Delphine Doron, une avocate inscrite au Barreau du Québec, et la firme McGill Avocats à Montréal.
La plupart des parties au dossier n’ont d’autre intérêt selon lui que de profiter de la manne offerte par les milliards de dollars détenues dans les fiducies, selon le juge.
Éviter l’écrit
La décision rendue jeudi lève aussi le voile sur des pratiques pour le moins surprenantes employées par des gens de loi proches de milliardaires.
«Pour “protéger” l'identité des bénéficiaires des trusts ainsi que leurs renseignements personnels, [un] cabinet [d’avocats] doit détruire et “jeter” à échéance régulière tous ses ordinateurs. Ils contiennent trop d'information. Le remplacement de tous les appareils permet de ne laisser aucune trace du moindre indice permettant à quiconque - en autre au fisc - d'identifier les personnes derrière les trusts ou même d'identifier l'existence d'un trust», souligne le juge.
«L'on se parle et l'on s'écrit par codes, tels la vieille dame, les cousins, le peintre, notre ami, les pêcheurs, les Ju, les Jibar, les Paul, SC, les Fic, Fip, Dic», dit le juge.
II faut éviter les écrits et plutôt que le courriel, le recours au fax est préconisé.
Selon le juge Synnott, il ne fait aucun doute que l’unique raison pour laquelle le Québec et le Canada ont été choisis pour abriter des milliards de fortunes française est pour se cacher des autorités fiscales.
«Ni l'une, ni l'autre de ces familles n'entretient le moindre lien avec le Canada, permettant de justifier la constitution de centaines de trusts au pays, sauf pour priver l'état français de son droit à une divulgation complète de leurs milliards. En l'absence de cet objectif de dissimulation d'actifs, l'écran de fumée existant serait justement inexistant puisqu'inutile, compte tenu du seul but de l'exercice qui est de cacher l'argent au fisc français ainsi que le nom des bénéficiaires et constituants des trusts», estime-t-il.