La condamnation d’une femme de 42 ans qui a pris le volant en état d'ébriété pour fuir son conjoint agressif rappelle que les tribunaux québécois ont encore du chemin à faire en matière de violence conjugale, estime une experte.
«Elle n’a pas suivi le bon chemin, de la bonne manière; nécessairement, elle a cessé d’être une victime, résume Rachel Chagnon, professeure au Département des sciences juridiques de l’UQAM. Il y a cette vision hyperlinéaire.»
La cour a estimé récemment que l’accusée dans cette affaire avait d’autres options que celle de prendre la route, même si elle craignait pour sa sécurité en présence de son conjoint de l’époque, le 3 mars 2021, dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean.
Au souper, le ton avait commencé à monter au sein du couple, jusqu’à ce que «le visage [du conjoint] change et dégage de la fureur», lit-on dans la décision du juge Pierre Lortie.
«Soudainement, il la prend par les deux bras et les ramène vers l’arrière. Il la projette sur toute la largeur de la cuisine.»
Posture menaçante
Décidant de quitter les lieux, l’accusée a entrepris de faire sa valise et a continué de se quereller avec son conjoint.
La femme, qui avait consommé des médicaments plus tôt en journée, est finalement parvenue à se rendre jusqu’à son véhicule.
«Elle mentionne avoir vu [son conjoint] dans la fenêtre de l’appartement, avec une posture menaçante. Son sentiment de panique augmente», lit-on dans la décision.
Entre-temps, une enfant de l’homme, inquiète que la quadragénaire prenne la route, a alerté le 911. Et l’accusée a fait de même dans les minutes qui ont suivi.
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«Un lieu safe»
«Tout ce que je veux, c’est partir. Je vais juste aller me parquer ailleurs dans un lieu safe, c’est juste un coin de rue là, je sais que j’ai pas le droit là», a affirmé la dame au répartiteur, après avoir admis être en état d’ébriété.
Celle qui avait un taux d’alcool approchant le double de la limite permise s’est ensuite déplacée 500 m plus loin, dans un stationnement commercial, pour rencontrer les policiers.
«Les policiers la rassurent en mentionnant qu’elle est en sécurité. Ils ajoutent qu’il faut d’abord traiter de la situation des capacités affaiblies. Elle réagit mal et se met à insulter les policiers», écrit le juge Lortie.
L’orage passé
Dans son analyse, le magistrat souligne que l’accusée n’aurait pas dû déplacer son automobile.
«[...] L’orage était passé. Elle est assise dans son véhicule et l'accusé se trouve à distance, à l’intérieur de son appartement», écrit-il.
Il avance également que la quadragénaire aurait pu à ce moment aller à pied à une station-service située tout près.
«Elle n’a pas non plus pensé demander de l’aide aux voisins ni se rendre à la caserne des pompiers. Ou bien, simplement attendre l’arrivée des policiers», ajoute le juge.
La professeure Chagnon constate ainsi une grande rectitude dans l’analyse du juge Lortie.
«C’est sûr que cette femme-là, si c’était à refaire, elle n’appellerait pas la police, tranche-t-elle. C’est quelqu’un qui ne va pas avoir confiance dans le système judiciaire dans l’avenir.»
Son permis a d’ailleurs été suspendu pour un an et elle doit payer une amende de 1500 $.