Un propriétaire négligent a été condamné à verser un dédommagement colossal à une famille des Laurentides forcée d’habiter dans un taudis sans chauffage et infesté de rongeurs.
« Ça nous a quasiment démolis », témoigne Crystel Moffette, qui a vécu dans le logement insalubre de Saint-Jérôme avec son conjoint et leurs trois enfants, dont un nourrisson et un garçon sur le spectre de l’autisme.
Entre 2019 et 2020, la petite famille a connu à peu près tous les pires cauchemars des locataires.
Un jugement rendu récemment qui condamne leur propriétaire à leur verser 42 200 $ à titre de dommages moraux, punitifs et de réduction de loyer décrit leur calvaire.
Colocs indésirables

Photo courtoisie, Crystel Moffette
Au fil des mois, Crystel Moffette et son conjoint ont pris au piège des dizaines de rongeurs.
La liste est longue : colocataires indésirables sous forme de souris et de fourmis charpentières, infiltration d’eau au sous-sol, fils électriques à découvert, panne du système de chauffage pendant un an, et moisissures et champignons.
« Ça en devenait dangereux pour notre santé. Mon bébé était toujours malade, il n’était pas capable de faire ses nuits », raconte la mère de 31 ans, aujourd’hui déménagée à Mirabel.
Car malgré un ordre du Tribunal de décontaminer le logement, le propriétaire, Pascal Morel, n’effectuera aucune réparation, peut-on lire dans le jugement.

Photo courtoisie, Crystel Moffette
De la moisissure et des champignons se sont propagés sur les murs du sous-sol du logement loué par la famille de Crystel Moffette. Des experts évoquent « une sérieuse contamination fongique » et déplorent une mauvaise qualité de l’air.
Cependant, il n’hésitera pas à multiplier les recours judiciaires contre ses locataires, parfois à « mauvais escient », affirme la juge administrative Marie-Louisa Santirosi, qui y voit la preuve que ce dernier « a développé une amertume grandissante et une ténacité sans précédent pour [leur] nuire ».
Elle blâme également le refus de M. Morel d’assainir le logement ainsi que son « désintéressement », qu’elle assimile à du harcèlement envers le couple locataire.
Contacté par Le Journal, Pascal Morel a allégué ne jamais avoir reçu de date d’audience.

Photo courtoisie, Crystel Moffette
Des cadavres de fourmis charpentières jonchent le plancher.
Mauvaise foi
Dans la décision, la juge Santirosi lui a reproché de faire preuve de « mauvaise foi », rappelant qu’il se présente rarement au Tribunal et qu’il le fait essentiellement pour demander une remise.

Photo courtoisie, Crystel Moffette
Des fils électriques à découvert pendent du plafond au sous-sol, remarque un inspecteur de la Régie du bâtiment.
M. Morel a également nié tout manquement et compte demander une rétractation du jugement qui le condamne à payer des milliers de dollars à ses anciens locataires.
Le Tribunal du logement confirme d’ailleurs qu’il s’agit de l’une des condamnations les plus élevées du genre dans son histoire.
« Enfin, le Tribunal commence à prendre au sérieux les dommages que subissent les locataires », glisse Martin Blanchard, co-porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ).
Ce dernier s’inquiète toutefois de la prolifération des abus de plus en plus extrêmes de la part des propriétaires en pleine crise du logement.
De son côté, Crystel Moffette encourage tous les autres locataires à aller au bout des procédures pour faire valoir leurs droits en matière de logement.
« On entend toujours parler des locataires qui saccagent et qui ne paient pas. Mais les locataires peuvent être des victimes », affirme celle qui a pu compter sur l’aide juridique pour se défendre.
Elle doute de toucher le dédommagement

Photo Martin Alarie
Crystel Moffette et de son conjoint David Grenon
La locataire qui a droit à 42 200 $ de son propriétaire pour compenser les déboires qu’elle a vécus dans un logement devenu inhabitable craint de ne jamais voir la couleur de cet argent.
« J’ai pleuré de joie en lisant la décision du Tribunal. Mais d’un autre côté, il y avait une petite voix qui me disait que ce n’était pas fini », laisse tomber avec un soupir Crystel Moffette.
Le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec remarque que de plus en plus de propriétaires rechignent à payer le montant de leur condamnation.
« Même si les locataires ont gain de cause, ils doivent courir après leur argent. C’est un autre effet dissuasif », regrette Cédric Dussault, co-porte-parole de l’organisme.
« Malgré la décision en notre faveur, ce qu’on a pu comprendre, c’est que les frais de huissier pour essayer de le saisir seraient assez élevés », dit Mme Moffette, découragée par la longueur des procédures.
« Vivre longtemps »
Le montant alloué par la juge vise à dédommager sa famille pour le harcèlement et les entraves judiciaires qu’elle a subis de la part de son propriétaire, ainsi que le stress et les inconvénients liés à son refus de décontaminer les lieux.
« C’était une maison où on se voyait vivre longtemps, où on voulait élever notre famille », dit-elle à regret.
Contacté par Le Journal, Pascal Morel dit avoir aujourd’hui abandonné l’immobilier et quitté temporairement le Québec à cause de Mme Moffette et de son conjoint.
Nos recherches démontrent toutefois qu’il détient toujours un prêt hypothécaire de 18 M$ auprès de la caisse Desjardins, couvrant 59 immeubles.
Créanciers
Des créanciers sont également à ses trousses et tentent de ravoir leur dû. La Banque Nationale du Canada et la Financière Lynx, un prêteur privé sont du nombre, selon les documents publics officiels que nous avons consultés. D’autres ont toutefois été payés récemment.
Par ailleurs, les deux parties dans cette affaire attendent toujours une autre décision concernant une demande pour résilier le bail qui les unit.
– Avec la collaboration de Philippe Langlois, Agence QMI