À M. Bernard Drainville, ministre de l’Éducation,
Je sais que vous avez fait une tournée dans quelques écoles l’automne dernier. J’aimerais vous partager ce que vous n’avez sans doute pas vu.
Je suis enseignante depuis 25 années. Lorsque j’observe notre réalité voici ce que j’y trouve:
- des enseignantes qui arrivent le matin avec des yeux gonflés, ayant pleuré toute la nuit;
- le midi, je vois des collègues faire des crises d’angoisse à la table, le corps tremblant de la tête aux pieds;
- à 15h, après sa journée, une collègue qui répond à un intervenant de la DPJ pour soutenir un élève;
- une autre encore, qui sort de l’école sans manteau en plein hiver, pour courir après un élève qui s’est sauvé;
- et moi qui ne me permets que 15 minutes de pause pour mon heure de dîner car je dois repartir en vitesse pour un comité quelconque, faire des photocopies, laver un bureau souillé de vomi. Et ma journée est loin d’être terminée.
Mes conditions de travail se sont détériorées depuis mon arrivée dans le monde de l’éducation. En début de carrière, mon plus gros «cas» était un élève qui boudait car il ne voulait pas entrer dans l’école à la fin de la récré. Oui, c’était ça...
Impossible d’offrir un enseignement de qualité en tout temps
Avec les années, les besoins des enfants ont évolué, se sont transformés et sont devenus pressants. Non, mon rêve n’a jamais été d’enseigner à des petits robots qui ne disent pas un mot pendant que j’enseigne.
Maintenant, sur une journée de cinq heures de présence avec mes cocos, il m’est impossible d’offrir un enseignement de qualité. Pourquoi? Parce que les enfants ont besoin de temps, d’écoute et de qualité de présence. J’enseigne à des humains.
Et il arrive souvent qu’un entre dans la classe, distrait, car ses parents se sont querellés toute la nuit. Ou une autre encore qui vient d’apprendre que sa maman a le cancer du cerveau. Et savez-vous quoi? Il y a de plus en plus d’enfants qui songent au suicide. Qui va laisser un enfant recroquevillé dans la toilette du fond, disant qu’il veut se suicider? Vous n’avez pas idée ce que ça demande comme accompagnement. Alors non, je ne peux pas débuter ma leçon de mathématiques. Un cœur chargé d’émotions a besoin d’être entendu. C’est notre quotidien. Qui se soucie d’eux? Qui s’occupe des enseignantes épuisées?
La prévention de notre santé mentale n’est une priorité pour personne. Qu’on ne se surprenne pas que plusieurs d’entre nous plient l’échine. Parce que lorsque le système ne nous soutient pas, la seule solution sensée qu’il nous reste est: fuir à toutes jambes. Ce que toutes les enseignantes veulent? Être entendues, soutenues, comprises et aimées. Que leur jugement professionnel soit valorisé. Une enseignante qui cogne à plusieurs portes pour obtenir des ressources suffisantes pour ses élèves veut accomplir sa mission éducative pour le bien de tous ceux qui composent sa classe.

Photo Dominick Ménard
Solène Dussault, Enseignante de l’Estrie