Dans le cadre de l'élargissement de l'aide médicale à mourir, un protocole devrait être mis en place pour guider les soignants lorsque des patients devenus inaptes changent d'idée après avoir fait une demande anticipée.
Si au moment ultime un patient refuse de recevoir l’aide médicale à mourir, mais qu’il n’est pas jugé apte à prendre une décision éclairée, c’est sa volonté exprimée au moment de faire la demande qui doit prévaloir.
«Si la personne n’est pas lucide, ce n’est pas un refus, c’est une résistance», a tranché le coprésident du groupe d’experts sur la question de l’inaptitude et de l’aide médicale à mourir, Jocelyn Maclure, lors de la première journée de consultation sur le projet de loi visant à élargir l’aide médicale à mourir.
· Écoutez l'entrevue avec Dr. Alain Naud, médecin de famille et médecin en soins palliatifs au CHU de Québec-Université Laval à l’émission de Sophie Durocher diffusée chaque jour en direct 14 h 35 via QUB radio :
Cette pièce législative veut rendre admissibles à ce soin de fin de vie les personnes qui souffrent d’une maladie grave et incurable, ainsi que les personnes atteintes d’un trouble neuromoteur, comme l’Alzheimer ou la démence.
Opinant dans le même sens, le Dr George l’Espérance, de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, a souligné qu’il est «tout à fait normal» que des patients résistent à un soin, et que cela est commun dans le milieu hospitalier.
«Si vous voulez mettre un cathéter à quelqu’un qui est un peu agité, vous allez avoir de la résistance», a-t-il dit, en ajoutant qu’il est possible d’amoindrir cette résistance en recourant à certains médicaments.
«Il ne faut pas s’arrêter à cette résistance au soin, et continuer avec le processus de l’aide médicale à mourir», a affirmé dans le même sens la directrice de la recherche de la Fédération québécoise des Sociétés Alzheimer (FQSA), Nouha Ben Gaied, en soulignant que la procédure devrait alors être reportée mais que la demande ne devrait pas être radiée. La FQSA estime que ce soin doit être «un dernier recours» et n’être considéré que dans des «conditions de déclin avancé et irréversible».
Pas assez large encore, clament les médecins
Le projet de loi de la ministre Bélanger propose d’élargir l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant d’une maladie grave et incurable, ainsi qu’aux personnes atteintes par un trouble neuromoteur.
Ce deuxième point est de trop, de l’avis des médecins, qui y voient un critère trop restrictif et qui risque de «causer des dommages à la population».
«Si on décide de mettre en place des critères très restrictifs, on va priver une grande partie de la population. De vouloir distinguer entre handicap physique et handicap neuromoteur va forcément restreindre l’accès à l’aide médicale à mourir, alors que notre objectif à tous est de l’élargir», s’est indigné le Dr Alain Nault du Collège des médecins.
Les critères de «maladie grave et incurable» sont suffisamment précis aux yeux des médecins, qui plaident que «chaque cas est unique» et doit être déterminé lors de discussions entre les médecins et les patients. L’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité est du même avis.
Le collège des médecins recommande également d’accélérer la réflexion sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de troubles mentaux avant mars 2024, pour assurer un bon arrimage entre les législations provinciale et fédérale.
Pour un débat en profondeur
Au cours des dernières années, le Québec serait passé de «la société la plus progressiste en Amérique du Nord (...) à la province la plus injustement restrictive dans l’accès à l’aide médicale à mourir», si l’on en croit le Dr Alain Nault.
«On est cités en exemple», lui a rétorqué la ministre Bélanger en vantant l’approche «très professionnelle et interdisciplinaire» que le Québec a développée.
«La notion de handicap est un concept extrêmement large [...]. Je pense que c’est extrêmement important qu’on puisse amener les nuances et baliser, par principe de prudence, et c’est pour ça qu’on amène la notion de handicap «neuromoteur», a-t-elle plaidé.
Elle a reçu l’appui de l’ancienne députée Véronique Hivon, qui a fait valoir qu’«on ne peut pas laisser ça à la pratique sur le terrain», a-t-elle affirmé en après-midi.
Mme Hivon a demandé aux parlementaires de prendre le temps nécessaire pour mener rigoureusement la démarche de consultation sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir. «Tous ceux qui veulent être entendus doivent être entendus», a-t-elle martelé.