Après avoir eu gain de cause au civil et au criminel, une victime d’agression sexuelle a dû à nouveau se battre, cette fois devant la Cour d’appel, pour obtenir les 800 000$ en dommages que ses parents et son oncle violeur ont été condamnés à lui payer.
À l’été 2021, Nancy Bibeau a obtenu réparation pour des agressions subies de 1980 à 1987. Elle poursuivait son oncle Gaston Auger, qui l’a abusée, mais aussi ses parents, Gemma Auger et Raymond Bibeau, qui n’ont rien fait pour la protéger.
Elle n’avait que 9 ans lorsque son oncle, lui âgé de 16 ans, l’a agressée pour la première fois.
Les délits sexuels ont eu lieu chez les grands-parents de Nancy Bibeau, lorsqu’elle y était en visite. À ces occasions, elle était contrainte de dormir dans le même lit que son oncle, et ce, malgré qu’il soit un violeur.
Gaston Auger avait en effet, à cette époque, été condamné pour un viol collectif d’une adolescente de 14 ans.
Malgré tout, les parents n’étaient pas intervenus pour changer leur fille de chambre, voulant « se mêler de leurs affaires ».
D’ailleurs, lorsque la jeune victime avait demandé à dormir sur le divan plutôt qu’avec son oncle, sa mère le lui avait refusé, disant qu’il ne fallait pas « salir les draps à grand-maman ».
Le juge Bernard Jolin de la Cour supérieure avait condamné Gemma Auger et Raymond Bibeau, solidairement avec Gaston Auger, à payer à la victime 806 306 $ en dédommagement, notamment pour perte de salaire dans le passé et le futur.
« De toute évidence, les avis commis par Gaston sont d’une extrême gravité. Mais jamais il n’aurait pu les commettre sans le laxisme de Gemma [Auger] et Raymond Bibeau », avait-il tranché, en partageant la responsabilité entre l’oncle et les parents de 60% et 40%.
Avant d’intenter son recours civil, Mme Bibeau avait d’abord tenté de se faire rembourser ses frais de thérapie par ses parents. Elle a essuyé deux refus.
«Si j’avais fait quelque chose, je serais encore en train de payer et j’aurais pas mon condo en Floride », avait justifié Gemma Auger lors du procès.
Cette dernière et son conjoint, de même que l’oncle de la victime, avaient contesté cette décision. Les parties ont présenté leurs arguments devant la Cour d’appel, ce mercredi.
Gaston Auger a évoqué des « invraisemblances et exagérations » ressorties dans le témoignage de la victime lors du procès civil.
« On a l’impression que le juge a donné un chèque en blanc à Mme Bibeau », a lancé Me Marc-Antoine St-Pierre, en rejetant l’analyse que le juge de première instance a fait de la capacité limitée de la victime à travailler.
L’avocat qui représente les parents de Mme Bibeau, Me Vincent Ranger, conteste pour sa part l’évaluation des dommages quant aux séquelles psychologiques qu’elle a subies.
Me Chloé Corneau, qui représente la victime, a quant à elle déploré que depuis le début, les parties adverses perpétuent les mythes encore présents dans les causes d’agression sexuelle. Elle a rappelé que la victime avait même dû reproduire le gémissement de douleur qu’elle a lâché lors de la première pénétration.
« On impose à la victime d’être une victime parfaite, de se souvenir de tous les détails, même si elle n’était âgée que de 9 ans [lors de la première agression sexuelle].
Pourtant, malgré quelques contradictions, Nancy Bibeau a maintenu la même version des faits depuis près de 40 ans, tant lors des procédures civiles que criminelles.
Elle avait en effet porté plainte à la police contre son oncle. Ce dernier a été déclaré coupable l’été dernier pour les abus sexuels qu’il lui a fait subir. Il connaitra sa sentence le mois prochain.
La Couronne demande neuf ans d’incarcération. La défense réclame une peine de trois à quatre ans.
Pour ce qui est de la décision à la Cour d’appel pour le litige civil, les juges Robert Mainville, Geneviève Cotnam et Peter Kalichman ont pris la cause en délibéré.
Mais pour Nancy Bibeau, peu importe la décision, elle sera satisfaite, a-t-elle assuré.
« Pour moi, c’est un aboutissement qui laissera une belle trace pour les autres victimes, a-t-elle dit. Ce n’est pas parce qu’il y a une décision contre nous qu’il n’y a pas de justice. »