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Une entrepreneure abandonne ses clients au milieu des rénos

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Une entrepreneure de Blainville aurait soutiré des centaines de milliers de dollars à plus d’une quinzaine de clients avant de les abandonner au beau milieu de leur chantier de rénovation résidentielle, a appris notre Bureau d’enquête. 

Mises en demeure, interventions de la police, enquête à la Régie du bâtiment du Québec et signalements à l’Office de la protection du consommateur : TP Maison a donné bien des maux de tête à des propriétaires qui souhaitaient rénover ou construire leur maison au cours de la dernière année. 

«On s’est fait avoir», déplore un client qui a versé 75 000 $ à cette entreprise pour la rénovation d’une grande partie de sa résidence de La Prairie, l’été dernier. Les travaux n’ont jamais été achevés et l’homme a dû débourser presque la même somme pour terminer son chantier avec un autre entrepreneur.  

TP Maison a été fondée au début de la pandémie par Karine Breard, une femme d’affaires à la tête d’une multitude d’entreprises opérant dans des domaines variés. Au fil des ans, l’entrepreneure a fait deux faillites personnelles et deux de ses entreprises ont dû se placer sous la protection de la loi sur la faillite. 

  • Écoutez l'entrevue avec Charles Tanguay, responsable des partenariats stratégiques et des relations avec les médias à l’Office de la protection du consommateur à l’émission de Yasmine Abdelfadel diffusée chaque jour en direct 13 h 35 via QUB radio :

Attirés sur Facebook 

Pratiquement tous les clients qui se sont confiés à nous ont connu TP Maison par une publicité Facebook. La compagnie, qui offrait gratuitement quelques heures de consultation avec un designer, assurait pouvoir commencer les projets rapidement, ce qui était séduisant pour les propriétaires.

Une fois l’entente conclue, les clients versaient 10 % du montant total de la facture. À l’approche du début des travaux, ils payaient encore 40 %. 

Généralement, la démolition allait bon train. Mais lorsque venait le temps de la reconstruction, alors que la moitié de la facture était acquittée, les choses se compliquaient. 

Les travaux étaient retardés, le matériel commandé n’était pas livré, les travailleurs se succédaient ou s’absentaient sans raison. Les clients, démunis, tentaient de joindre Karine Breard, qui réclamait alors de nouvelles sommes d’argent. Elle était aussi de plus en plus difficile à joindre.

Aucun projet terminé 

À ce jour, aucun chantier de rénovation n’a été terminé par TP Maison chez les clients à qui nous avons parlé. La situation est particulièrement pénible pour Fabienne Le Paih, dans Lanaudière, qui se retrouve à la rue après avoir donné quelque 224 000 $ à Karine Breard (voir autre texte plus bas). 

Matthieu et Caroline, de Brossard, ont quant à eux payé 42 000 $ et espéré durant plus de trois mois que leur cuisine démolie par TP Maison soit reconstruite. Ce n’est jamais arrivé. 

« C’était excuse par-dessus excuse [pour justifier les retards] », déplore le couple, qui s’est tourné vers d’autres professionnels.

Malgré les 3500 $ versés en acompte l’automne dernier, TP Maison n’a pas travaillé une seule journée chez Marie-Ève Martin, à Saint-Jean-sur-Richelieu. La cliente a mis en demeure Karine Breard de la rembourser. « Ça n’a rien donné », souffle la jeune mère.

Sous-traitants non payés 

Plusieurs sous-traitants qui ont travaillé avec Karine Breard au cours de la dernière année ont aussi confié à notre Bureau d’enquête avoir été floués pour plusieurs dizaines de milliers de dollars. 

L’entrepreneure Brenda Perez estime que TP Maison lui doit quelque 15 000 $ pour des travaux de démolition et de nettoyage effectués par ses employés. 

« [Karine Breard] m’a fait des chèques, mais les chèques étaient sans fonds », déplore-t-elle.  

Une victime, elle aussi

En entrevue avec notre Bureau d’enquête, Karine Breard n’a manifesté que peu d’empathie pour la quinzaine de clients qui ont perdu d’importantes sommes d’argent.

« J’ai perdu plus que tous ces gens-là réunis ensemble », a-t-elle plaidé.

Karine Breard, qui « ne connaissait rien en construction », affirme avoir confié la gestion des chantiers à divers entrepreneurs, qui l’auraient ruinée à coups de fausses facturations, de vol de temps et d’incompétence. 

Notre Bureau d’enquête a joint trois de ces partenaires d’affaires, qui affirment plutôt que c’est Karine Breard qui leur doit des dizaines de milliers de dollars. Ils auraient travaillé sans être payés et auraient acheté des matériaux sans être remboursés, notamment.

Karine Breard a publié une photo de sa rutilante Tesla sur les réseaux sociaux.

Photo tirée du compte Instagram de Karine Breard

Karine Breard a publié une photo de sa rutilante Tesla sur les réseaux sociaux.

« Ce n’est pas moi qui l’a pris, l’argent [...] J’en ai pris une partie pour vivre. Mais vivre, c’est rien », se défend Karine Breard, qui est arrivée à l’entrevue au volant d’une Tesla.

Elle dit avoir tenté de « sauver » les chantiers en cours en utilisant les acomptes des nouveaux clients. Après avoir été « menacée », elle aurait cessé de rappeler les clients et les sous-traitants qui voulaient la joindre. 

Si TP Maison a disparu du web, Karine Breard n’abandonne pas la construction pour autant. Elle a lancé en décembre dernier une toute nouvelle compagnie, Kare Construction, qui utilise sur son site internet des images de projets de rénovation... effectués par d’autres entrepreneurs (voir autre texte plus bas).

– avec Denis Therriault, Nicolas Brasseur, Ian Gemme et Maude Boutet

Manoir au coeur d’un litige 

L’adresse officielle de TP Maison et de plusieurs entreprises dirigées par Karine Breard est celle de cette luxueuse résidence de Blainville.

Photo fournie par une source

L’adresse officielle de TP Maison et de plusieurs entreprises dirigées par Karine Breard est celle de cette luxueuse résidence de Blainville.

Karine Breard, la plupart de ses entreprises ainsi que certains de ses partenaires d’affaires indiquent tous être domiciliés dans une luxueuse maison de Blainville.

Or, cette maison – qui possède notamment une piscine intérieure – appartient à une ancienne dentiste qui se bat actuellement devant les tribunaux pour reprendre possession de la propriété.  

Karine Breard et son ancien conjoint auraient omis de payer à plusieurs reprises le loyer mensuel de 3200 $, selon un document judiciaire.

La propriétaire demande aujourd’hui le départ des locataires et les somme de cesser d’utiliser son adresse à des fins commerciales. Un juge doit entendre la cause à la fin du mois. 

La Régie enquête 

La Régie du bâtiment du Québec (RBQ) a ouvert une enquête sur TP Maison, qui aurait lancé plusieurs chantiers de construction sans licence valide.

TP Maison aurait en effet utilisé des numéros de licence appartenant à trois entrepreneurs différents au cours de la dernière année. La propriétaire, Karine Breard, assure que tout est légal, puisque ces entrepreneurs agissaient à titre de « gérants de projet ».

La RBQ rappelle toutefois qu’un entrepreneur est « une personne ou une entreprise qui est un promoteur ou qui vend des projets de construction ». Même si l’entreprise n’exécute pas les travaux, elle doit avoir une licence, selon le porte-parole Sylvain Lamothe, qui souligne que le travail sans licence est passible d’amendes pouvant aller jusqu’à 192 000 $. 

Ruinée par sa maison neuve 

Une femme de Lanaudière qui a versé 224 000 $ à TP Maison pour reconstruire sa maison se retrouve avec un bâtiment inachevé qui n’a « pas été construit selon les règles de l’art » et qui devrait être démantelé.

« Je ne sais même pas ce qu’il y a de bon dans la maison », peste Fabienne Le Paih, qui a engagé TP Maison en mars 2022 pour reconstruire son logis de Sainte-Marcelline-de-Kildare, qui avait été rasé par les flammes.

La compagnie de Karine Breard devait s’occuper de la « gestion complète du projet » estimé à 250 000 $, assure Mme Le Paih. Preuves à l’appui, la cliente a payé près de 25 000 $ au moment de la signature du contrat, puis une seconde somme de 119 000 $ au début des travaux, l’été dernier.

Entre juin et novembre 2022, pas moins de quatre entrepreneurs différents se sont succédé sur le chantier. Les travaux ont pris du retard, les matériaux commandés n’arrivaient pas et des employés se plaignaient de ne pas être payés. 

Pour calmer le jeu, Fabienne Le Paih a accepté de verser à deux reprises 40 000 $ à TP Maison. 

Rapport inquiétant

À l’approche de l’hiver, la structure n’avait toujours pas de toit, de fenêtre, de plancher, ni d’électricité. Fabienne Le Paih a payé elle-même un professionnel pour fermer les ouvertures. Doutant de la qualité des travaux effectués, elle a aussi fait inspecter la maison.

Le rapport qui a suivi, daté du 25 novembre dernier, est sans équivoque : « Le bâtiment ne devait pas être construit de cette façon et il y a un risque futur pour le bâtiment ainsi que les occupants », peut-on lire. À moins d’un avis contraire provenant d’un ingénieur ou d’autres experts, l’inspecteur recommande « fortement » de démanteler la maison.

À bout de souffle, ruinée et vivant depuis des mois chez sa sœur, Fabienne Le Paih a demandé, sans succès, à Karine Breard de la rembourser. L’entrepreneure a cessé de lui répondre.

« Je suis une victime, mais je me sens extrêmement coupable. Je me sens conne. Je ne pouvais pas envisager que Karine et TP Maison ne terminent pas la maison », confie la femme.

Questionnée sur ce cas précis, Karine Breard affirme avoir mis 150 000 $ de travaux sur la maison de Fabienne Le Paih. Bien que TP Maison soit signataire du contrat pour cette construction, la femme d’affaires soutient que la responsabilité de ces déboires revient aux entrepreneurs.

« Est-ce que j’ai fait tout mon possible pour mettre des gens qui allaient effectuer des travaux ? Oui. Je souhaitais vraiment que sa maison soit bien réalisée », s’est-elle défendue.  

Des images de la maison d’une comédienne

Karine Breard a utilisé sans autorisation des images de projets de rénovation effectués par d’autres entrepreneurs pour faire la promotion de sa nouvelle entreprise de construction, incluant des photographies tirées de la résidence d’Isabel Richer.  

Au bout du fil, la comédienne ne peut s’expliquer comment les images de sa maison se sont retrouvées sur le site de Kare Construction. Elle n’a jamais fait affaire avec cette compagnie et n’a « aucunement » entendu parler de Karine Breard. 

La comédienne assure que ses travaux de rénovation ont été effectués par Le Chantier général, une entreprise des Laurentides dirigée entre autres par Samuel Langlais. En consultant le site web de Kare Construction, M. Langlais a d’ailleurs réalisé que d’autres de ses projets s’y trouvaient. Lui non plus n’avait jamais entendu parler de Karine Breard ni de ses compagnies.

Paysagiste floué

TP Maison se serait approprié des photographies appartenant à un architecte paysager de Blainville pour mousser sa page Facebook.

Photo tirée du compte Facebook de Karine Breard

TP Maison se serait approprié des photographies appartenant à un architecte paysager de Blainville pour mousser sa page Facebook.

Le Chantier général n’est pas le seul dans cette situation. L’an dernier, un architecte paysagiste de Blainville a découvert sur Facebook que TP Maison, propriété de Karine Breard, s’appropriait ses créations. 

« Ils utilisaient mes photos de projets, downloadés de mon Facebook et ils mettaient leur logo dessus ! C’est des photos qui m’appartenaient, pour [lesquelles] j’ai payé un photographe », peste le professionnel.

Confrontée à ces allégations, Karine Breard a d’abord nié avoir utilisé des photographies qui ne lui appartenaient pas, avant de signifier qu’elle n’aurait pas de problème à les retirer.

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