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Mont-Saint-Hilaire: un manoir hanté pour la Ville

L’imposant Manoir Rouville-Campbell qui servait d’hôtel et de restaurant a été donné à la Ville de Mont-Saint-Hilaire.

Photo d'archives, Pierre-Paul Poulin

L’imposant Manoir Rouville-Campbell qui servait d’hôtel et de restaurant a été donné à la Ville de Mont-Saint-Hilaire.

Des citoyens de Mont-Saint-Hilaire estiment s’être fait remettre un cadeau empoisonné avec le don par un multi-millionnaire québécois de l’emblématique Manoir Rouville-Campbell, qui coûte une fortune à entretenir.

Mont-Saint-Hilaire a accepté l’an dernier le don du célèbre manoir par un holding d’André Imbeau, un des cofondateurs du géant informatique CGI.

La famille Imbeau l’avait elle-même acquis de l’humoriste Yvon Deschamps en 2006 pour un montant non dévoilé.

En retour, une firme de M. Imbeau s’est fait remettre par la Ville en 2022 un reçu fiscal de 31 millions $. La Ville s’était réjouie alors de recevoir ce qu’elle qualifiait de joyau, mais des citoyens et un élu pensent plutôt qu’elle s’est fait passer un sapin. 

« La Ville n’a pas à gérer le manoir pour le rendre rentable. Je ne veux pas que ça devienne une charge pour les citoyens », s’inquiète le conseiller municipal Marcel Lebœuf.  

  • Via QUB radio, Michel Girard discute du cadeau empoisonné de Mont-Saint-Hilaire dans sa chronique économique :

Bien qu’il ait voté en faveur de l’acceptation du don, celui qui est le seul élu à ne pas être du parti du maire a des regrets. 

« On est rien que 19 000 [habitants] », dit celui qui est également comédien.

Selon une compilation effectuée par l’Association des citoyens de Mont-Saint-Hilaire, le manoir coûte plus de 1 million $ par année à la population.

Son PDG, Pierre Nault, arrive à ce chiffre en incluant le manque à gagner en taxes, l’assurance et l’entretien requis.

« C’est un puits sans fond. Ça continue, ça continue, et les gens ne le savent pas. Je n’ai rien contre M. Imbeau, mais on n’avait pas à lui venir en aide. Lui, il rit dans sa barbe, il va économiser peut-être 16 millions $ d’impôt », critique-t-il. 

Sécurité renforcée

Au cours des derniers mois, les policiers ont dû intervenir pour chasser des personnes qui s’étaient introduites illégalement sur le site près de la rivière Richelieu. Un imposant dispositif de sécurité a dû être installé.

L’Association dénonce le peu de vérifications qui ont été faites avant d’accepter l’imposant cadeau. La Ville a accepté le don quelques jours seulement après avoir reçu une étude pré-embryonnaire de l’état du bâtiment. 

Récemment, le maire a également indiqué qu’ils étaient toujours en train de faire l’analyse des états financiers.

Le don lui-même n’est pas sans coût pour tous les contribuables du Québec. Le reçu octroyé permet de déduire beaucoup d’impôt. De l’argent qui ne se retrouvera pas dans le trésor public.

« Il existe [...] un avantage fiscal appréciable pour la société de même que pour l’actionnaire », souligne André Lareau, professeur à l’Université Laval. Le fait que des terrains cédés soient considérés comme un don écologique rend le tout encore plus avantageux, selon lui.

La valeur du don du manoir est beaucoup plus élevée que son évaluation municipale de 11,1 millions de dollars. André Imbeau a refusé de commenter. 

  •  Écoutez la chronique Crime et Société avec Félix Séguin, journaliste au Bureau d’enquête de Québecor au micro de Richard Martineau sur QUB radio : 

Le Manoir Rouville-Campbell en bref

  • 1832 | Un descendant du seigneur de Rouville, Jean-Baptiste Hertel, fait construire le manoir
  • 1844 | Le major Thomas Edmund Campbell l’achète et y installe sa famille
  • 1969 | Le peintre et sculpteur Jordi Bonet s’en porte acquéreur
  • 1986 | Transformé en hôtel de luxe par un homme d’affaires
  • 1996 | Yvon Deschamps et Judy Richards en font l’acquisition
  • 2006 | Le manoir est vendu à la famille Imbeau, de CGI
  • 2022 | Mis en vente pour 28 M$ avant d’être donné à la Ville de Mont-Saint-Hilaire 

Yvon Deschamps était fatigué de gérer l’immeuble 

Le dispositif de sécurité ceinturant le site a dû être renforcé après des intrusions de curieux dans les derniers mois.

Photo d'archives

Le dispositif de sécurité ceinturant le site a dû être renforcé après des intrusions de curieux dans les derniers mois.

L’humoriste Yvon Deschamps et sa femme, Judy Richards, ont été surpris de voir la Ville aux commandes du Manoir Rouville--Campbell qu’ils ont détenu et exploité pendant une dizaine d’années, de 1996 à 2006.

« Le public ne connaissait pas le manoir, c’est nous qui l’avons mis sur la mappe avec des spectacles », dit-elle.

Malgré ce succès, gérer le manoir était ardu. 

« C’était fabuleux, mais ça ne faisait pas d’argent. Tous les surplus allaient pour l’entretien. Il y avait tout le temps quelque chose », a-t-elle dit.

« Après 10 ans, on devient fatigués. C’est du quotidien, c’est des employés, a-t-elle illustré. Par bouts, tu te fais avoir un peu ».

Un travail 24 h sur 24

Le maire dit avoir reçu un appel d’Yvon Deschamps pour savoir ce qui allait arriver.

Ces propos font écho à ceux de Michel Barrette, qui a cédé son intérêt dans l’Auberge des Trois Tilleuls en 2020.

« La vie est plus simple depuis que je suis plus là-dedans ; 90 % des conversations que j’avais avec ma femme pendant toutes ces années-là, ça concernait l’hôtel [...]. C’est du 24 heures sur 24 », confie-t-il. 

Le maire craignait une vente à un oligarque 

Le dispositif de sécurité ceinturant le site a dû être renforcé après des intrusions de curieux dans les derniers mois.

Photo Jean-François Cloutier

Le dispositif de sécurité ceinturant le site a dû être renforcé après des intrusions de curieux dans les derniers mois.

Le maire de Mont-Saint-Hilaire, Marc-André Guertin, défend l’acceptation du don de l’emblématique Manoir Rouville-Campbell, qui aurait pu autrement tomber dans les mains de gens peu scrupuleux, selon lui.

« On observe à Mont-Saint-Hilaire qu’il y a de riches demeures, propriétés de citoyens étrangers ou autres, qui ne sont pas habitées. [...] C’est le scénario qu’on appréhendait le plus, qu’un oligarque se porte acquéreur et que ça ne soit jamais utilisé ou pire encore », explique-t-il.

Il affirme que l’immobilier québécois est actuellement utilisé par des fortunes quasi comme un compte de banque pour parquer de l’argent.

« Est-ce que vous auriez pris le risque de ne pas vous faire donner 30 millions $ ? On a préféré le risque de l’audace et de la rigueur plutôt que cette espèce de précaution un peu stérile », dit-il.

Comité d’experts

Le maire indique s’en remettre à un « comité des sages » composé de 11 personnes pour l’aider à déterminer l’avenir du manoir patrimonial.

L’attachée de presse du ministre de la Justice et député de Borduas, Simon Jolin-Barrette, a confirmé qu’il a participé à quelques réunions concernant l’avenir du manoir. Selon un rapport d’architectes, il était question d’installer un espace bleu dans l’édifice. 

L’ex-ministre libérale et PDG de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), Liza Frulla, a aussi été de deux réunions de consultation avant les Fêtes, a-t-elle fait savoir, mais elle a nié siéger au comité vu son horaire chargé.

Le maire n’a pas voulu donner de chiffres en entrevue concernant les coûts.

Gros potentiel

Il parle toutefois d’un potentiel de développement inouï. 

« En ce moment, on a à assumer toutes les responsabilités d’un propriétaire », reconnaît-il, disant que c’est temporaire.

« Il faudra qu’il y ait des usages commerciaux », mentionne-t-il quant à la future vocation du manoir, excluant l’idée d’y installer l’hôtel de ville. « On ne peut pas se permettre de supporter un manoir de cette envergure sans qu’il y ait des entrées de revenus », concède-t-il.

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