Emmanuel Macron n'a aucun regret ou presque. La réforme très contestée des retraites doit être appliquée «avant la fin de l’année», a-t-il affirmé mercredi lors d’une intervention télévisée très attendue, assumant ainsi son «impopularité» et provoquant immédiatement des réactions ulcérées.
Mercredi soir, des manifestations de quelques centaines de personnes se sont déroulées dans plusieurs villes, comme tous les soirs depuis bientôt une semaine: ils étaient 300 à Paris, selon la police, 600 à Lyon, selon la préfecture, près d’un millier à Lille, toujours selon la préfecture. À Toulouse, un millier d’étudiants se sont réunis en AG pour voter le blocage reconductible des trois facultés de la ville.
À la mi-journée, lors d’un entretien de 35 min sur TF1 et France 2, le président, quasiment silencieux depuis janvier sur ce projet phare de son second mandat, a une nouvelle fois plaidé pour une réforme «nécessaire» qu’il ne conduit pas «par plaisir».

AFP
«Je ne vis pas de regrets», a-t-il dit, concédant cependant ne «pas avoir réussi à convaincre sur la nécessité» de la réforme. Mais «il n’y a pas 36 solutions» quant au recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, selon lui.
Le chef de l’État a épinglé les partis d'opposition en disant que pour eux, le projet, «c’est le déficit». L’entretien présidentiel les a immédiatement fait bondir, de même que les organisations syndicales qui préparent une neuvième journée de grèves et de mobilisations jeudi.
«Du foutage de gueule et du mépris pour les millions de personnes qui manifestent», a cinglé le patron de la CGT, Philippe Martinez. «Déni et mensonge», a fulminé son homologue de la CFDT, Laurent Berger, alors qu’Emmanuel Macron venait d’affirmer qu’aucun syndicat n’avait proposé de compromis sur les retraites.
M. Macron, qui avait écarté mardi toute perspective immédiate de remaniement, de dissolution ou de référendum, a égrené les arguments déployés par son camp depuis l’activation de l’article 49,3 sur cette réforme, adoptée après le rejet, à seulement neuf voix près, d’une motion de censure contre son gouvernement.
«S’il faut endosser l’impopularité aujourd’hui, je l’endosserai», a assumé le chef de l’État, qui est revenu sur des propos polémiques tenus la veille devant les parlementaires de sa majorité.
Alors que sa réforme mène à des manifestations quotidiennes dans le pays et à des grèves, il avait indiqué que la «foule» n’avait «pas de légitimité face au peuple qui s’exprime, souverain, à travers ses élus».
«Déconnexion»
Des propos qui visaient les parlementaires ciblés par des violences, a-t-il assuré mercredi. «On ne peut accepter ni les factieux ni les factions», a-t-il insisté mercredi, citant les exemples des assauts contre le Capitole de Washington par des partisans de Donald Trump ou contre les lieux de pouvoir à Brasilia par ceux de Jair Bolsonaro.
Comme les syndicats, les opposants politiques ont vivement réagi aux propos de M. Macron.

AFP
Le président prodigue ses «traditionnelles marques de mépris», s’est insurgé Jean-Luc Mélenchon. «Je crains qu’il n’ait mis plus d’explosif sur un brasier déjà bien allumé», a dénoncé le patron du Parti socialiste (PS), Olivier Faure.
À droite également, la critique est dure. Le président des Républicains (LR), Eric Ciotti, a fustigé des solutions «pas à la hauteur de la crise politique et économique que nous vivons».
«Il dit qu’il respecte, mais il insulte. Tous les Français, tout le temps», a dit la cheffe de l’extrême droite, Marine Le Pen.
Guère de réactions, en revanche, au sein de la majorité présidentielle, particulièrement chez les alliés d’Horizons et du Mouvement démocrate (MoDem). «Le courage de l’action», «au risque de l’impopularité», a salué le patron du parti présidentiel Renaissance, Stéphane Séjourné.
Après plus de deux mois de contestation, les manifestations et les actions de blocage se sont multipliées depuis le 49,3 jeudi dernier.
À Strasbourg, Laurent, 53 ans, cadre dans une entreprise de transport et électeur de Macron, n’a pas encore manifesté, mais il descendra dans la rue jeudi. «Je ne suis pas du tout un habitué des manifs, loin de là», mais «la façon de faire, le soi-disant débat qui se termine sans prendre en compte aucun avis, c’est brutal, ce n’est pas acceptable», déclare le quinquagénaire qui n’a pas voulu donner son nom. «Le gouvernement mise sur un essoufflement du mouvement, ils font ce qu’il faut pour que ça devienne de pire en pire, les flics sont hyperviolents, c’est choquant.»
«Coconstruction» à l’Assemblée
Mercredi, le port de Marseille Fos était totalement bloqué dans le cadre d’une journée «ports morts» à l’appel de la CGT, tandis que des actions coup de poing ont également été menées aux abords de la zone portuaire de Capécure, à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais).
Le dépôt pétrolier de Puget-sur-Argens (Var) est bloqué par des manifestants, de même que deux ronds-points desservant deux dépôts pétroliers au nord de Bordeaux, tandis qu’au niveau national, 14,3% des stations-service connaissent une pénurie d’au moins un type de carburant.
Pour jeudi, le SNUipp-FSU, premier syndicat dans le primaire, a prévu qu'entre 40 et 50% des professeurs du primaire seront en grève.

AFP
La situation devrait être très perturbée également dans les transports, notamment dans les trains - la moitié des TGV circuleront - et environ 30 % des vols seront annulés au départ de Paris-Orly.
Le trafic du métro parisien et du RER sera «très perturbé». La grève, reconductible à la RATP, sera plus suivie que ces derniers jours, mais moins qu’au tout début du mouvement en janvier.
Désireux de sortir de cette séquence difficile, le président a tenté de donner des perspectives. Charge à Élisabeth Borne de «bâtir un programme de gouvernement» susceptible «d’élargir» la majorité relative à l’Assemblée, dans une démarche de «coconstruction d’un agenda parlementaire avec l’ensemble des forces des deux chambres».
«Le compromis fonctionne», «nous en sommes capables», a assuré la première ministre devant le Sénat.
Première précaution, néanmoins: le projet de loi immigration, présenté comme la prochaine victime des partis d'opposition à l’Assemblée, sera scindé en «plusieurs textes» dans «les prochaines semaines».
M. Macron veut également «réengager» un dialogue avec les partenaires sociaux sur le rapport au travail. Mais «il faut attendre quelques jours, quelques semaines», a-t-il observé.
Réponse immédiate de Laurent Berger: «Ce sont des mots creux, pour l’instant, il y a un gros conflit social, une crise démocratique, une crise sociale. Faut être dingue [...], il y a un délai de décence», a-t-il déclaré à l’AFP.