Un sans-abri qui a reçu plus de 25 000 $ de contraventions en quatre ans poursuit la Ville de Montréal et son service de police pour harcèlement et discrimination.
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Guylain Levasseur a reçu 235 contraventions entre 2015 et 2018, principalement pour des infractions de stationnement, alors qu’il utilisait son véhicule pour offrir des vivres à des itinérants, peut-on lire dans des documents judiciaires.
L’affaire est tellement sérieuse que la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ) a jugé bon d’intenter un recours contre la Ville, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), ainsi que quatre patrouilleurs qui se seraient acharnés sur Levasseur.
Ce dernier, faute d’argent, vivait dans son véhicule récréatif et distribuait des vivres à d’autres itinérants : « On va te faire décrisser du village [gai], ma grosse tapette », lui aurait dit un policier, dont il préfère taire le nom, nous affirme-t-il en entrevue.
M. Levasseur ne faisait pourtant que recueillir de la nourriture et des vêtements qu’il redonnait aux sans-abri à partir de son association communautaire, Dehors Novembre. Il était surtout présent dans le secteur Centre-Sud de Montréal.
Consignes contre lui
Les autorités l’auraient alors ciblé, car « sa présence aurait dérangé les bons citoyens et les propriétaires de condos du secteur du métro Beaudry », peut-on lire dans la poursuite de 52 000 $ déposée par Me Liz Lacharpagne de la CDPJQ en 2022.
Selon la poursuite, c’est l’agent André Ayotte, du SPVM, qui aurait été derrière ce cocktail de contraventions en donnant « des consignes aux agents du PDQ 22 et aux agents de stationnement de remettre fréquemment [à M. Levasseur] des constats d’infraction ».
M. Levasseur affirme même qu’un policier lui aurait donné une contravention de 335 $ pour s’être simplement appuyé sur une poubelle pendant qu’il parlait avec quelqu’un.
Une autre fois, alors que le sans-abri mangeait tranquillement chez Tim Hortons, un autre policier lui aurait dit devant plusieurs clients : « Je vais te faire perdre ta voiture et ton permis de conduire. »
- Écoutez l'entrevue avec Sam Watts, président-directeur général de La Mission Bon Accueil sur QUB radio :
Le chef Dagher
Les allégations de Guylain Levasseur surviennent au moment où le nouveau chef du SPVM, Fady Dagher, affirme vouloir mieux prendre soin des sans-abri. En novembre dernier, il a déclaré que le service de police se devait d’être « beaucoup plus inclusif et saisir les enjeux des populations marginalisées ».
Toutefois, ni M. Dagher ni le service des relations médias du SPVM n’ont donné suite à nos demandes d’entrevue concernant cette affaire.
Levasseur aura tout de même effectué 603 heures de travaux communautaires à la suite d’une entente avec la Ville pour payer ses contraventions : « À un moment donné, j’avais 75 dates de cour. Je ne pouvais plus me battre », dit-il.
La requête sera entendue devant le tribunal plus tard en avril.
Le plan du nouveau chef est attendu
Les organismes communautaires en itinérance attendent avec impatience les changements promis par le nouveau chef du SPVM, Fady Dagher, concernant les personnes marginalisées.
Le directeur général de l’organisme Droits Devant, Bernard St-Jacques, qui travaille depuis plus de 20 ans avec les itinérants, affirme que M. Dagher se serait engagé à rencontrer plusieurs organismes communautaires afin de présenter un plan concret, sans toutefois avoir fixé de date.
Face aux pratiques de certains policiers, M. St-Jacques dresse un bilan particulièrement sombre de la situation qui prévaut dans la métropole.
Aujourd’hui encore, des policiers ne se gêneraient pas pour remettre plusieurs contraventions à un itinérant au cours d’une même intervention, déplore-t-il.
Plaintes difficiles
Malgré l’existence d’un commissaire à la déontologie policière qui reçoit les plaintes du public au sujet des forces de l’ordre, « la majorité des itinérants ne portent pas plainte, car ils craignent des représailles policières », indique-t-il.
« L’itinérant devra éventuellement s’asseoir en face du policier [s’il porte plainte] et lui expliquer ce qu’il lui reproche », indique-t-il, ce qui n’est pas de nature à favoriser les plaintes des personnes vulnérables.
De plus, « ils savent qu’ils vont revoir ensuite les mêmes policiers ou leurs collègues dans la rue ».
Des itinérants se sont confiés à lui, lui disant qu’ils avaient été abordés par des policiers qui leur criaient dessus parce qu’ils avaient osé porter plainte.
HAUSSE MAJEURE DES CONSTATS AUX ITINÉRANTS
1994: 1054
2014: 3841
2018: 8493
2019: 9580
17 millions $
Les constats distribués aux itinérants entre 2012 et 2019 totalisent plus de 17 millions $.
Source : Rapport de l’Observatoire des profilages de l’Université de Montréal, janvier 2021