Réponse à Identité de genre: les parents ont droit à la transparence, M. Drainville (JdM, 26 mai 2023)
Nous nous inquiétons de la tendance prise par de nombreux médias, partis politiques et personnes de tous azimuts à exiger un retour en arrière en matière d’accès aux soins transaffirmatifs et de droits des personnes trans et non binaires.
D’entrée de jeu, nous voulons souligner que le document Mesures d’ouverture et de soutien envers les jeunes trans et les jeunes non binaires mentionné par Nadia El-Mabrouk dans sa lettre d’opinion n’est pas nouveau comme cela semble être suggéré. Il date de 2017, est le fruit du comité de travail de la Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation et est endossé par des personnes expertes ou représentant le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et plusieurs autres organismes.
Les recommandations du guide sont basées sur les lois actuelles, incluant la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, la Loi sur l’instruction publique et la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, qui dictent que l’école doit préserver la confidentialité des jeunes de plus de 14 ans dans certains cas, notamment en contexte de soins de santé ou de services sociaux.
Soutien parental
Or, la lettre d’opinion de Madame El-Mabrouk ne précise pas l’âge auquel les jeunes ont le droit à ce traitement confidentiel et laisse présumer que des enfants de 6 ou 7 ans pourraient demander des modifications à leur dossier sans en informer l’autorité parentale. En outre, le soutien parental est recommandé lorsqu’un jeune entreprend une transition de genre.
Cependant, ce soutien parental est loin d’être garanti; la plupart des jeunes trans et non binaires ne bénéficient pas d’un soutien fort de la part de leurs parents, encore aujourd’hui. Ce que la recherche montre, c’est que ces jeunes sont par ailleurs surreprésentés en protection de la jeunesse et le motif le plus souvent cité dans leur dossier est celui de l’abandon. Les décisions de ne pas impliquer les parents dans les transitions sociales ne sont donc pas généralement prises à la légère.
Il faut se rappeler que les recherches montrent clairement qu’affirmer le genre d’une personne – y compris à travers le changement de prénom ou de mention du sexe – permet une nette amélioration du bien-être. En outre, la loi oblige les établissements scolaires à s’assurer que leur milieu soit sécuritaire et exempt d’intimidation pour tous les enfants, et respecter l’identité de genre d’une personne en est à la base. Au contraire, le non-respect de l’identité ou de l’expression de genre d’une personne est interdit par la loi et constitue une discrimination.
Médicalisation
Dans sa lettre, Madame El-Mabrouk insinue que la transition sociale préconise une «médicalisation à vie pour changer le corps». Or, les interventions médicales d’affirmation du genre n’impliquent aucunement l’école, et les recherches montrent que seulement 16% des jeunes trans de moins de 25 ans au Québec ont eu recours à des bloqueurs de puberté et 49% à l’hormonothérapie. De plus, pour les jeunes qui souhaiteront entreprendre une démarche médicale d’affirmation du genre, une nouvelle publication dans Nature en mai 2023 faisant état de 46 études sur les impacts de tels soins médicaux conclue que l’hormonothérapie réduit de manière constante la détresse psychologique et les symptômes dépressifs.
Il faut aussi se rappeler que les bloqueurs de puberté sont des médicaments utilisés depuis plusieurs décennies avec les enfants et les adultes cisgenres pour traiter certaines affections de santé. Enfin, l’affirmation du genre est soutenue par la World Professional Association for Transgender Health (W-PATH).
Quant au nouveau programme d’Éducation à la sexualité, nous espérons que son contenu sera inclusif des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre et, surtout, qu’il sera enseigné par des personnes dûment formées pour le faire, puisqu’il s’agit effectivement de sujets délicats. Comme pour tout autre contenu inscrit au cursus scolaire, tout le monde peut avoir accès aux thématiques et au matériel utilisé.
Y avoir accès ne signifie toutefois pas avoir un droit de regard pour privilégier une idéologie, surtout lorsqu’elle est contraire aux données probantes issues de la science et qu’elle se fonde sur des ouï-dire issus d’un populisme conservateur en provenance de groupes ouvertement transphobes.

Photo courtoisie, Benoît Turcotte
Mathé-Manuel Daigneault, professionnel de recherche et coordonnateur, Équipe de recherche sur les jeunes trans et leurs familles
Annie Pullen Sansfaçon, professeure titulaire, École de travail social, Université de Montréal, et directrice scientifique, Équipe de recherche sur les jeunes trans et leurs familles, anciennement titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles (2018-2023)