Alors que Meta commence à censurer le contenu journalistique de Facebook et d'Instagram pour une centaine d’utilisateurs, la classe politique canadienne dénonce unanimement une manœuvre d’«intimidation» devant laquelle Ottawa n’a pas l’intention de reculer.
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«Lorsqu’un géant du web, peu importe sa taille, peu importe son budget et ses puissants avocats, vient ici et nous dit “si vous ne faites pas ceci, je vous débranche”, c’est une menace et c’est inacceptable», a déclaré le ministre du Patrimoine Pablo Rodriguez.
Comme Google auparavant, l’entreprise dirigée par le multimilliardaire Mark Zuckerberg dit n’avoir pas grand-chose à perdre en bloquant la circulation du contenu journalistique, qu’il considère comme du «marketing gratuit» pour les médias.
L’expert Jean-Hugues Roy n’en est pas si sûr.
«L’expérience sur ces plateformes-là va être moins riche. Ce n’est pas dans leur intérêt de faire ça», a-t-il indiqué, en entrevue.
«Facebook se tire dans le pied en faisant ça», a ajouté le professeur en journalisme à l’UQAM.
D’un autre côté, le directeur général du Globe & Mail a indiqué au Sénat plus tôt cette semaine que les médias canadiens «souffriraient beaucoup» si Google et Facebook mettaient leur menace à exécution.
«Temporaire» et n’affectant que certains utilisateurs pour l’instant, la mesure serait permanente et étendue à tous si la loi C-18 pour forcer ces plateformes à rémunérer les médias canadiens passe le test final au Sénat, a assuré Meta.
«Les médias d’information auront toujours accès à leurs comptes et à leurs pages, et pourront toujours publier des liens et du contenu de nouvelles; toutefois, certains contenus ne pourront pas être consultés au Canada», a-t-on indiqué.
«Très mauvais citoyen corporatif»
Meta s’avère un «très mauvais citoyen corporatif», selon M. Roy.
«J’essaie de penser à des services qui font de l’argent grâce aux Canadiens, mais qui, à l’approche d’une réglementation, nuiraient à la qualité de vie démocratique, et je ne trouve pas».
Le professeur juge que «si la loi est adoptée, le Canada va devenir un exemple à suivre», et suggère au ministre Rodriguez de «continuer» à tenir tête.
Une loi adoptée en 2021 en Australie et dont le Canada s’est inspiré a permis au secteur des médias d’empocher environ 200 millions $ dès la première année, malgré des tactiques similaires utilisées par les plateformes.
Le néo-démocrate Peter Julian remarque que Meta est «incapable de censurer les propos haineux et la désinformation, mais peut censurer le journalisme crédible».
«Je trouve la contradiction très évidente», a déclaré celui qui désire aussi une loi pour réclamer une «transparence algorithmique» pour dévoiler comment les géants du web ciblent leurs publics.
Martin Champoux du Bloc québécois accuse Meta de «jouer les gros bras» après avoir «bouleversé carrément notre vie et nos façons de s'informer».
Prenant les feux de forêt comme exemple, le député soutient qu’«en situation d'urgence les médias deviennent sans aucun doute malgré eux un service essentiel».
«Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que les Canadiens ne pourront plus accéder à des informations vitales ou les partager sur les médias sociaux, surtout dans un contexte où des incendies de forêt sévissent actuellement dans diverses régions du Canada», a déclaré l’attachée de presse du ministre Rodriguez.
Le chef conservateur Pierre Poilievre a lui aussi dénoncé les «menaces» et la «censure» de Meta, mais dit que l’entreprise ne fait que copier Justin Trudeau en voulant «contrôler ce que les gens voient».