Avec la hausse de 30 % que les élus de l'Assemblée nationale s'apprêtent à s'octroyer, les ministres empocheront une augmentation de salaire équivalente au revenu moyen des Québécois. La décision arrive à un bien mauvais moment, fait remarquer un expert, après le fiasco à la SAAQ, ainsi que les déboires en santé et en éducation.
• À lire aussi: Salaire des élus: les solidaires ne refuseront pas tous leur hausse
• À lire aussi: Hausse du salaire des élus: une décision difficile, mais importante pour la société, plaide Legault
Notre Bureau d’enquête a compilé le montant supplémentaire que chaque élu recevra dès cette année, si le projet de loi 24 du gouvernement Legault est adopté comme prévu la semaine prochaine.
En effet, puisque la plupart des députés bénéficient d’une prime pour leurs diverses fonctions supplémentaires (pour présider une commission parlementaire, par exemple), et que la hausse de 30 % s’applique sur ces montants aussi, la majorité d’entre eux recevront bien plus que les 30 000 $ d’augmentation sur le salaire de base souvent évoqués au cours des dernières semaines.
Ainsi, les ministres obtiendront une bonification de 52 859 $. C’est plus que le salaire moyen des Québécois en 2021, qui s’élevait à 51 200 $, selon Statistique Canada.
Les députés à Québec deviendront ainsi les mieux payés parmi toutes les provinces canadiennes. Seuls les élus de la Chambre des communes recevront un meilleur salaire.
«Rattrapage»
Le gouvernement caquiste plaide toutefois qu’un « rattrapage » est nécessaire, bien que le salaire des élus soit déjà indexé au fil des ans.
Et, de façon générale, les heures sont longues à Québec. Un sondage réalisé par un comité indépendant sur la rémunération des députés évalue la semaine normale à 63 heures de travail, en plus d’une dizaine pour les déplacements.
«Je ne vois pas pourquoi le secteur privé, le secteur public paieraient mieux que la politique. Il faut valoriser le rôle des députés», a récemment plaidé le premier ministre François Legault.
Mais la population n’est pas de son avis. Un récent sondage Léger commandé par Québec solidaire démontre que 74 % des répondants sont contre cette augmentation soudaine.
Où sont les résultats?
Pour Olivier Turbide, professeur spécialisé en communication politique à l’UQAM, plusieurs facteurs expliquent cette réticence dans la population.
D’une part, hausser le salaire des élus est toujours impopulaire. Mais la démarche souffre aussi de la comparaison avec le milieu privé, où les augmentations sont généralement liées à l’atteinte de résultats.
«On a des démonstrations chaque jour sur le système de santé qui va mal, le système d’éducation qui ne livre pas les services aux clientèles vulnérables, des manquements sur le plan administratif comme à la SAAQ, etc.», souligne M. Turbide.
Dans ce contexte, la population se demande «pourquoi on accorderait une augmentation à des députés si finalement ils ne livrent pas la marchandise», affirme le professeur.
Malgré tout, lui-même ne s’oppose pas à une révision, soulignant que le premier ministre est moins bien payé que certains patrons de sociétés d’État.
Un rapport tabletté
Mais le moyen retenu est mal choisi, estime Olivier Turbide. En 2013, un autre comité, présidé par la juge L’Heureux-Dubé, proposait de confier le mandat à un organisme indépendant.
Le rejet de cette recommandation (notamment par la CAQ) a constitué une «occasion ratée», affirme le professeur. «C’est le fait que les politiciens se votent eux-mêmes une augmentation qui, sur le plan éthique, pose problème», note-t-il.
La juge L’Heureux-Dubé proposait également de revoir le régime de retraite (qualifié de «Ferrari» à l’époque) afin de diminuer de 4 % à 2 % le crédit de rentes accumulé chaque année par les députés. «Ainsi, les députés assumeraient 41 % des coûts annuels du régime plutôt que 21 % présentement», écrivait le comité.
La juge proposait aussi de rendre les allocations imposables, si bien que la hausse proposée à l’époque aurait été «à coût nul».
Au contraire, cette fois, Québec ne touche pas aux autres avantages, ce qui entraînera une hausse de 5 M$ pour le trésor public.