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Coût de la vie: s'attaquer aux épiciers risque d'être un coup d'épée dans l'eau

Il est loin d'être sûr que les Canadiens gagnent quelque chose de l'ultimatum du gouvernement aux épiceries, préviennent deux experts.

Bloc épicerie

Photo d'archives, Agence QMI

OTTAWA – Le gouvernement Trudeau somme les géants de l'épicerie de trouver une façon de stabiliser les prix d'ici l'Action de grâce, mais il est loin d'être sûr que les Canadiens y gagnent quelque chose, préviennent deux experts.

« C’est une annonce pour montrer qu’on fait quelque chose pour s’attaquer au coût de la vie, mais qui ne contient pas assez de détails pour garantir un quelconque impact concret sur les prix », estime Michael Von Massow, spécialiste de l’industrie alimentaire à l’Université Guelph en Ontario.

Selon lui, le gouvernement est forcé de réagir parce qu'il va très mal dans les sondages et que l'opposition l'accuse d'inaction, même si les prix sont déjà en train de se stabiliser. Face à l'adversité, l'équipe Trudeau doit donc se montrer proactive, ce qu'elle fait en s’attaquant à une cible facile et fort impopulaire : les chaînes d’épiceries.

Les épiciers : une cible facile

Quatre-vingt-cinq pour cent des Canadiens pensent que ces compagnies font des profits abusifs sur leur dos, indique Sylvain Charlebois, directeur scientifique du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire, à l’Université Dalhousie à Halifax. Mais dans les faits, il n’y a pas de données qui prouvent clairement que c'est le cas, soulignent les deux chercheurs.

En août, la Banque du Canada indiquait plutôt qu’en 2021, l'augmentation de leur marge de profit comptait pour moins d'un dixième (0,1 %) de l’inflation alimentaire. Ainsi, M. Von Massow estime que l'annonce est davantage politique que basée sur des données claires.

Quoi qu’il en soit, les cinq grands de la distribution alimentaire sont convoqués à Ottawa lundi matin où ils rencontreront le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, qui les attend de pied ferme.

« Soyons clairs : les Canadiens méritent des solutions de la part du secteur alimentaire [...] Nous devons agir ensemble, et nous le ferons, afin de stabiliser les prix des produits alimentaires pour les consommateurs canadiens et améliorer la concurrence au Canada », a-t-il déclaré vendredi.

  • Écoutez la rencontre politique avec Yasmine Abdelfadel et Marc-André Leclerc via QUB radio :
Renforcer la concurrence... et la confiance

Pour renforcer la compétition, le gouvernement a aussi annoncé jeudi qu'il donnerait plus de pouvoir au Bureau de la concurrence afin d'augmenter la compétition au Canada. L'objectif est par exemple qu'il puisse sévir contre les grands épiciers qui empêchent les plus petits épiciers de s’installer.

« Cette proposition est excellente. Elle aurait dû être faite depuis longtemps », estime M. Charlebois pour qui l’industrie agroalimentaire souffre d’un manque de confiance du public justement parce que le Bureau de la concurrence n’a pas de dents. Or, sans confiance, impossible de justifier les hausses de prix, dit-il.

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Joël Lemay / Agence QMI

Geler les prix des aliments de base, une solution ?

Le Canada n'est pas le seul pays à chercher des solutions pour contrer la flambée des prix de l'alimentation. Fin août, la France a annoncé le gel de prix de 5000 produits de base. Devrait-on s’en inspirer ?

Deux experts de l'industrie agroalimentaire sont sceptiques et mettent en garde contre les effets pervers de la solution française.

« Il faut penser à toute la chaîne d’approvisionnement » et pas seulement à ceux qui sont tout au bout, les épiciers, prévient Sylvain Charlebois, directeur scientifique du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire à l’Université Dalhousie à Halifax.

Il explique que les géants de l'alimentation risquent de se retourner vers les agriculteurs et les autres acteurs de la chaîne, comme les compagnies d’emballage, de transport et de transformation alimentaire.

Or, ceux-ci ont une marge de manœuvre très restreinte, parce qu'ils ont aussi vu leurs coûts d’exploitation bondir en raison de la hausse du prix des carburants, des évènements climatiques extrêmes qui ont nui aux récoltes, de la guerre en Ukraine, de la pénurie de main-d’œuvre et de la hausse des salaires.

Souveraineté alimentaire

Michael Von Massow, spécialiste de l’industrie alimentaire à l’Université Guelph en Ontario, ajoute qu’un gel des prix risque de pousser les distributeurs à remplacer des produits canadiens plus chers par des produits étrangers moins dispendieux et de moindre qualité, ce qui affecterait notre souveraineté alimentaire.

Et c’est sans compter le signal négatif que cette méthode enverrait aux investisseurs, poursuit M. Charlebois, qui craint que certains quittent le marché canadien, car ils le jugeront moins compétitif.

  • Écoutez l'entrevue avec Maryse Côté-Hamel, spécialiste en sciences de la consommation, à l’émission de Yasmine Abdelfadel via QUB radio : 

« On n’est pas la France qui bénéficie de la diversité du marché européen. Les risques pour nous sont extrêmement différents puisque nous sommes isolés face à l’immense marché américain », dit-il.

Finalement, « la question qu’il faut se poser, c’est qui paie pour le gel des prix ? » dit M. Von Massow. Soit les épiciers vont faire payer leurs fournisseurs, soit ils refileront la facture aux consommateurs qui achèteront les produits non contrôlés, soit le gouvernement devra subventionner les produits gelés, donc les contribuables en paieront le prix dans leurs impôts.

PROFITS D’EMPIRE (SOBEYS, IGA) EN 2021 

  • 701,5 millions $ 
  • En hausse de 20,2 % 

PROFITS DE LOBLAWS EN 2021 

  • 1,98 milliard $ 
  • En hausse de 65 %

PROFITS DE METRO EN 2021 

  • 825,7 millions $ 
  • En hausse de 3,5 %
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