Un expert américain a accusé l’une des revues scientifiques les plus cotées, Nature, de favoriser les études collant à un « récit » climatique à sens unique, affirmant avoir réalisé une étude dans ce seul but sans le dire à ses coauteurs, une méthode qui a suscité la réprobation parmi ses pairs.
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« J’ai omis de dire toute la vérité pour que mon article sur le changement climatique soit publié », assure Patrick Brown dans le titre d’un article du site The Free Press le 5 septembre.
Il y raconte comment, dans une étude sur les incendies de forêts, il s’est délibérément focalisé sur le rôle du réchauffement climatique dans l’augmentation des risques tout en n’étudiant pas sciemment la contribution d’autres facteurs potentiels, comme la gestion des terres.
« Je viens d’être publié dans Nature parce que je m’en suis tenu à un récit dont je savais qu’il plairait aux rédacteurs en chef », écrit ce chercheur.
Immédiatement, des médias américains et britanniques qui relaient régulièrement des opinions climatosceptiques, en pleine recrudescence, se sont emparés de ses accusations.
« Pas de preuves »
L’étude, publiée le 30 août, avait été relayée par l’AFP dans une dépêche intitulée « Le changement climatique accroît de 25% le risque d’incendies extrêmes de forêt ». Ce résultat n’est pas lui-même soupçonné de manipulation; c’est la volonté délibérée de ne pas quantifier d’autres facteurs potentiels, dans le but d’accuser Nature, qui lui est reproché, a fortiori en trahissant la confiance de ses coauteurs.
L’un d’eux, Steven Davis, de l’université de Californie, s’est dit « très surpris » auprès de l’AFP: « Patrick a peut-être pris des décisions qu’il pensait de nature à favoriser la publication, mais nous ne savons pas si un article différent aurait été rejeté », a-t-il réagi. « Je ne crois pas qu’il dispose de beaucoup de preuves pour étayer ses affirmations que les rédacteurs en chef et les comités de lecture sont partiaux ».
La rédactrice en chef de Nature, Magdalena Skipper, a défendu le processus interne de relecture par les pairs, les éditeurs ayant interrogé le chercheur sur les autres facteurs. « Nous avons été persuadés qu’un article focalisé sur ce sujet avait de la valeur pour la communauté scientifique, grâce à la quantification » de l’impact climatique, dit-elle à l’AFP.
Trois récentes études dans Nature, sur les canicules marines, les émissions de carbone en Amazonie et les incendies, ont par ailleurs évalué d’autres facteurs que le réchauffement, a-t-elle rappelé.
« Éthique douteuse »
M. Brown, qui n’a pas répondu à l’AFP, est un responsable du Breakthrough Institute, qui étudie les réponses technologiques aux problèmes environnementaux.
Pour Ivan Oransky, cofondateur du Retraction Watch, site de veille sur les rétractions d’articles académiques, la démarche de M. Brown « ressemble à un coup monté... à l’éthique douteuse ».
« Les scientifiques clarifient-ils parfois leur récit pour être plus convaincants? Absolument. Ont-ils besoin de publier pour conserver leur emploi? Absolument », explique à l’AFP M. Oransky, qui parle régulièrement des problèmes du processus de « peer-review » dans certaines revues.
« Le problème est que sa tentative de démonstration s’appuie sur une logique défaillante, qui va évidemment convaincre ceux déjà convaincus que les scientifiques ne sont ni rigoureux ni honnêtes, en particulier sur le changement climatique ».
Les scientifiques se plaignent souvent de la pression sur les jeunes chercheurs, exprimée par le dicton « Publish or perish » (« publier ou périr »). Bourses de recherche et titularisations sont tributaires de décisions prises par les revues scientifiques.
« Il est compréhensible que les évaluateurs et les rédacteurs en chef des revues s’inquiètent de la manière dont un sujet complexe, en particulier politiquement délicat, sera reçu par le public », relève Brian Nosek, psychologue cofondateur du Center for Open Science, organisme américain qui promeut la transparence scientifique. « Mais la science donne le meilleur d’elle-même lorsqu’elle s’appuie sur cette complexité et ne laisse pas des récits idéologiques simplifiés à l’extrême déterminer la manière dont les preuves sont rassemblées ».
« Il est regrettable, mais pas surprenant que Patrick ait eu l’impression qu’il devait participer à la simplification à outrance de son travail pour faire carrière dans la science », mais « à long terme, cela ne rend service ni à lui, ni à la science, ni à l’humanité ».